Le chiffre est pour le moins percutant ! Près de 61% de Tunisiens pratiqueraient l'automédication, à savoir la prise de médicaments sans prescription médicale initiale. C'est ce qu'a révélé une étude réalisée en octobre 2014, par l'Institut National de la Consommation (INC) auprès d'un échantillon de 2067 citoyens répartis sur tout le territoire de la République. Ainsi, près de 80% des personnes interrogées ont révélé zapper régulièrement la case médecin, généralement en cas de pathologies « légères » et acheter leurs médicaments sur conseil du pharmacien. De même, une personne sur quatre appellerait le médecin au téléphone en cas de maladie sans recourir à la visite médicale. La médecine traditionnelle serait aussi en vogue en Tunisie puisque 50% des enquêtés déclarent préférer les remèdes naturels, à base de plantes médicinales et peu coûteux, aux traitements chimiques. Il existe plusieurs types d'automédication. Il peut s'agir par exemple d'une prise en charge exclusivement personnelle de la maladie par le patient lui-même, sans avis médical ou encore la prise d'un médicament par ouïe dire ou sur conseils de son entourage. Pour justifier le recours à l'automédication, différentes raisons sont évoquées à chaque fois, principalement d'ordre financier : pouvoir d'achat en baisse et cherté des médicaments, notamment les antibiotiques, les honoraires élevés des médecins, surtout les spécialistes, difficulté de remboursement par la CNAM... Mais cette pratique est-elle sans risques ? Contacté par téléphone, Dr Rachid Kammoun, Vice Président du Conseil National de l'Ordre des Médecins (CNOM) déclare que l'automédication peut, dans certains cas, s'avérer vraiment dangereuse. Il explique : « En cas de maladie, même simple, il est toujours préférable de demander conseil à son médecin ou à son pharmacien et surtout ne jamais reprendre systématiquement un médicament ultérieurement prescrit juste parce qu'il a été efficace une première fois. Cela peut causer de dangereux effets secondaires. Par contre, pour une pathologie bénigne, il est de bonne pratique qu'un pharmacien prescrive certains médicaments au patient. Toutefois, il doit se limiter à la liste des médicaments délivrés sans ordonnance et ne pas dépasser ses prérogatives. » Un avis que partage Lotfi Gastli, membre du Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens de Tunisie (CNOPT) qui explique : « Les chiffres avancés par l'INC me semblent très logiques et peuvent s'expliquer par un contexte socio-économique vacillant. Toutefois, l'automédication n'est jamais anodine. Pour exemple, un patient peut trainer une toux pendant un bon moment, ne pas s'en inquiéter et se suffire d'un simple sirop antitoussif, alors que cette toux persistante peut être l'un des symptômes d'une maladie plus grave comme le cancer des poumons. Nous appelons donc les patients à plus de vigilance. Demander conseil à son pharmacien est un geste gratuit, qui demande un minimum d'effort et qui peut être salutaire. L'automédication aléatoire représente un réel danger et c'est là que, nous, pharmaciens, intervenons et jouons un rôle capital. C'est à nous d'établir un dialogue avec les malades et de les orienter soit vers les bons médicaments, soit vers un médecin en cas de suspicion de pathologie grave. Si d'un point de vue purement économique, nous avons tout intérêt à délivrer tous les médicaments qui nous sont demandés, nous ne le faisons jamais pour ceux qui représentent un réel danger toxique et qui ne sont délivrés que sur ordonnance. D'abord parce que notre profession est bien réglementée mais aussi par éthique et par conscience professionnelle. Mais il faut que le patient soit, en parallèle, sensibilisé au danger de l'automédication et que les autorités sanitaires mettent en place un plan de communication clair, simple et accessible à tous, tous niveaux socioculturels confondus. Et qui de mieux qu'au « Doctour Hakim », l'ancien « médecin virtuel » de la radio nationale, cette mission aurait-elle pu être confiée ? Lancés il y a plus de trente ans, ces spots quotidiens portant sur la santé et devenus depuis mythiques étaient élaborés dans le temps par feu Dr Zouhair Kallel, le père fondateur de la diététique-thérapeutique en Tunisie. Ils ne sont malheureusement plus diffusés depuis un bon moment suite à un différend entre l'Institut National de Nutrition et la radio sur une affaire d'ordre financier. Pourtant, cette émission d'intérêt public, jouissant à l'époque d'une popularité indéniable, aura marqué de nombreuses générations surtout par la simplicité des conseils prodigués et l'accessibilité des messages transmis.