Au Grand Palais, à Paris, un voyage à huit actes ressuscite l'univers à la fois onirique, lumineux et capiteux de Leïla Menchari, auteure des décors de vitrines d'Hermès. Dans ce théâtre immobile, l'artisanat tunisien joue un rôle central. L'exposition « Hermès à tire-d'aile, les mondes de Leïla Menchari », organisée par la prestigieuse maison, emblème du luxe et du raffinement parisien, vient tout juste de clore ses portes au Grand Palais. En ce vendredi 1er décembre, malgré le froid quasi sibérien, on se presse, — beaucoup d'élégantes parmi le public — pour admirer la reconstitution de huit vitrines de l'artiste tunisienne scénographiées par Nathalie Crinière. A première vue, ce qui interpelle et fascine dans les ambiances qu'aime créer Leïla Menchari, c'est la couleur. Des mauves mariés à des jaunes vifs, un univers maritime, mais couleur corail, des bleu émeraude pour raconter l'histoire d'une caverne en Méditerranée...Le surréalisme qu'apprécie plus que tout Leïla Menchari s'évoque aussi à travers des tons décalés et une réalité sans cesse réécrite sur les rythmes de la poésie des couleurs. «La terre est bleue comme une orange», s'écriait le poète Paul Eluard. « Dites-moi vous êtes une rêveuse ! » Mais c'est le cinéma qui inspirera le plus Leïla Menchari, grande amie du styliste Azzeddine Alaya, qui vient de nous quitter. Fille d'un avocat et d'une pionnière du féminisme tunisien, ses cousines ne jouissant pas du même spectre de liberté que la jeune Leïla, elle se transforme, alors, en conteuse des fictions qu'elle vient juste de voir dans les salles obscures de ce Tunis des années 50. Partie à Paris à la fin des années 50 pour parachever des études de Beaux-Arts entamées à Tunis, elle frappe un jour au 24 de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Elle montre ses dessins à Annie Beaumel, responsable des vitrines du célèbre sellier parisien, qui rétorque : « Dites-moi vous êtes une rêveuse !». Elle l'invite à revenir : «Dessinez-moi vos rêves !», lui demande-t-elle. Bien sûr que l'artiste reviendra pour reprendre le fil de cette belle histoire de sa vie qui la mènera à la tête des vitrines d'Hermès de 1978 à 2013. Elle dirigera, par ailleurs, également le Comité couleurs de la soie. Quatre fois par an, elle imaginera des décors qui donneront envie aux clients de franchir la porte de la marque pour découvrir la nouvelle collection de sacs, de pochettes et de valises dessinés pour la saison. Des décors féeriques qu'elle jalonnera, comme le montre bien l'exposition du Grand Palais, des créations de la maison et aussi d'objets de l'artisanat tunisien. Des ambiances inspirées de sa maison à Hammamet On admire les fines babouches en cuir, comme les pas perdus d'un voyageur, les moucharabiehs dessinés comme des broderies, sa touche d'Orient, les stucs finement ciselés, les tapis tressés en jonc des oueds du centre du pays... Tout le savoir-faire des artisans tunisiens exposé et transcendé dans ces petits théâtres immobiles que sont les vitrines parisiennes de Leïla Menchari. Son amour du bel ouvrage s'étend encore plus loin, vers la mythologie et ses mystères. Ainsi fait-elle surgir dans l'un de ses décors d'été un pégase jaune sur fond d'un écrin en améthyste violet. Mais ses plus belles décorations sont probablement celles inspirées de son domaine à Hammamet, une villa aux jardins luxuriants, s'étendant jusqu'à la Méditerranée et où règnent trente paons. Elle avait à peine dix ans lorsque, suivant un chat au bord de la mer, elle se retrouve dans un parc à la végétation exotique. Elle y fait la connaissance des propriétaires, un couple anglo-américain plutôt bohème, Jean et Violet Henson. Sans enfants, les Henson se prennent d'affection pour Leïla et, à leur disparition, lui lèguent leur maison sur laquelle elle continue à veiller avec amour et tendresse. De plus, c'est ici que jaillissent ses idées les plus fantasques, comme cette ambiance marine où dominent les coraux et une flore baignée dans un camaïeu de roses. Richement illustré, l'ouvrage «Leïla Menchari, la Reine Mage» (texte de Michèle Gazier aux Editions Actes Sud), préfacé par Axel Dumas, président d'Hermès, complète cette exposition.