Les Tunisiens se disent indifférents à ces élections car ils ne croient plus aux «politicards, aux partis, voire en l'Isie». Il n'est pas exclu que la date du scrutin municipal soit reportée après les législatives de 2019, si elle n'est pas renvoyée aux calendes grecques. Et c'est tout le processus démocratique qui en pâtirait. S'il ne l'est déjà. Le feuilleton des élections municipales ne va pas connaître son épilogue de sitôt. De report en report, le scrutin risque de ne jamais avoir lieu. Mardi 12 décembre 2017, les représentants d'Ennahdha, de Nida Tounès et de l'Union patriotique libre (UPL), la nouvelle «Troïka», ont demandé le report des élections municipales fixées au 25 mars 2018 lors de leur rencontre avec les membres de l'Isie. Ils proposent le premier dimanche du mois de mai 2018 comme nouvelle date. De leur côté, dix partis politiques, dont Afek Tounès, Mashrou Tounès, Al Moubadara, Al Massar ont appelé l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) à organiser, dans les plus brefs délais, une réunion de concertation avec tous les partis pour définir la feuille de route relative aux élections municipales. Le 25 décembre est la date butoir pour la publication du décret présidentiel appelant les électeurs à se rendre aux urnes. Or, selon toute vraisemblance, le décret ne sera pas promulgué. Les conditions nécessaires ne sont pas réunies Le feuilleton a commencé juste après la formation du gouvernement Habib Essid. Alors qu'il était encore à la tête du ministère des Affaires locales, Youssef Chahed avait déclaré, le 17 mars 2016, que Les élections municipales devaient se tenir avant la fin 2016. Le 17 septembre de la même année, l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) avait proposé un calendrier pour les municipales, avançant le dimanche 30 octobre 2016 comme date du scrutin. Réunis mercredi 30 septembre 2016 pour débattre de cette question, les quatre partis de la coalition au pouvoir (Nida Tounès, Ennahdha, UPL et Afek) ont entériné le calendrier proposé. Ils se sont, également, accordés sur les démarches à suivre et les étapes qui mèneront jusqu'à cette date. Mais ces engagements n'ont pas été pris en compte et depuis, cette échéance a été, à chaque fois, repoussée pour des raisons plus ou moins objectives, soit sous la pression des partis politiques ou en raison du retard pris dans les préparatifs ou encore à cause de la crise qui a secoué l'instance, après la démission de son président Chafik Sarsar et deux autres membres. Suite à cette démission l'Isie a connu un feuilleton rocambolesque et il a fallu quatre plénières pour élire le successeur du président démissionnaire en la personne de Mohamed Tlili Mansri qui, dès son élection, se trouve déjà contesté par les siens, mais également par des partis politiques. Une autre date avait été alors fixée pour le 26 mars 2017, mais encore une fois reportée en raison notamment du retard considérable pris dans l'adoption de la loi relative aux élections municipales et locales, ce qui a entraîné la révision de la totalité du calendrier électoral. Au cours d'une réunion au siège de l'Isie, il a été convenu de fixer la date du 17 décembre 2017. Cette date avait été retenue en concertation entre l'Instance d'une part, le gouvernement, les partis politiques et la société civile de l'autre. Toutefois, elle a été conditionnée par l'élection du nouveau président et l'adoption du Code des collectivités locales ainsi que l'achèvement de la mise en place des tribunaux administratifs régionaux. Conditions qui n'ont pas été satisfaites, d'où le refus du président de la République de promulguer le décret appelant les électeurs à se rendre aux urnes, sans lequel le scrutin est automatiquement reporté. C'est pourquoi, aussitôt cette date annoncée, les grandes manœuvres ont commencé avec des appels de plus en plus pressants pour le report du scrutin à 2018. Entre-temps, l'Isie, qui a continué à fonctionner avec un président intérimaire, a annoncé une nouvelle date, celle du 25 mars 2018, approuvée par Ennahdha mais rejetée par la plupart des autres partis. Ce branle-bas a continué après l'élection du nouveau président de l'Instance. Il n'échappe pas aux observateurs que les conditions nécessaires ne sont pas encore réunies pour assurer le déroulement du scrutin à la date prévue. Au vu de la lenteur des préparatifs, il sera pratiquement impossible de pouvoir respecter cette échéance. Le Code des collectivités locales, qui compte plus de 360 articles, n'est pas encore adopté. Et même si certains penchent vers l'application de l'ancienne loi de 1975, ce serait vraiment anachronique car cette loi fait des municipalités de simples structures sans aucune indépendance, placées sous l'autorité de délégués et des gouverneurs. Elles seront, selon certains partis, sans intérêt si elles sont tenues dans les conditions actuelles et notamment en l'absence du code des collectivités locales. De plus, les nouvelles communes créées par le gouvernement ne sont pas encore prêtes. Certaines d'entre elles n'ont pas de locaux, ni personnel, ni budget. Tout comme les antennes régionales du Tribunal administratif qui, à leur tour, ne sont pas encore installées. Des élections qui ne mobilisent pas Ces élections, qui sont censées ancrer le processus démocratique à l'échelle locale, ne mobilisent pas outre mesure les citoyens qui semblent de plus en plus indifférents à cette échéance, pourtant très importante, parce qu'elle pourrait permettre d'améliorer leur quotidien dont la dégradation les irrite et les révolte. Dissoutes après le 14 janvier 2011 et remplacées par des délégations spéciales, les municipalités sont devenues ingérables. Chaque gouvernement qui s'installe dissout et remplace les délégations à sa guise et au bon vouloir des partis qui le composent. Leur remplacement par de nouvelles équipes dirigées par les délégués est contesté par l'opposition qui voit dans cette formule une manœuvre des partis du gouvernement pour agir sur les résultats du scrutin. Entre-temps, la gestion des villes est devenue défaillante, le ramassage des ordures aléatoire. Si l'on en croit les sondages, plus des deux tiers des Tunisiens n'iraient pas voter, ce qui serait catastrophique pour la jeune démocratie qui tente de se frayer un chemin au milieu des marécages. D'ailleurs, un signe qui ne trompe pas. Le nombre total des Tunisiens en âge de voter s'élève à plus de huit millions 500 mille alors que le nombre d'inscrits est de l'ordre de cinq millions 750 mille dont 47,64% de femmes et 52,36% d'hommes. Pis, le pourcentage de jeunes, entre 18 et 23 ans, inscrits est désappointant : 3,27%. Les Tunisiens se disent indifférents à ces élections car ils ne croient plus aux «politicards, aux partis voire en l'Isie». Il n'est pas exclu que la date du scrutin municipal soit reportée après les législatives de 2019, si elle n'est pas renvoyée aux calendes grecques. Et c'est tout le processus démocratique qui en pâtirait. S'il ne l'est déjà.