L'accord politique que tout le monde cherche à faire advenir entre les différents acteurs de la crise libyenne tarde à venir. La preuve, les réunions de coordination entre les pays voisins qui se poursuivent... Et dont la dernière a eu lieu à Tunis. Toutefois, de nouveaux éléments dans les discussions indiquent que l'accord politique se donne des ambitions importantes... Le dossier libyen a marqué de sa présence la diplomatie tunisienne au cours des derniers jours. Tout d'abord, il y a eu la rencontre au Palais de Carthage entre Fayez El-Sarraj et le président Caïd Essebsi. A l'issue de cette entrevue, l'hôte libyen, en sa qualité de président du Conseil présidentiel du Gouvernement d'union nationale, a indiqué que sa visite s'inscrivait dans une logique de «concertation». Rappelons que le président tunisien est l'initiateur d'une opération de médiation, lancée en février dernier, dont le but est de favoriser et d'accompagner le dialogue entre les différents protagonistes du conflit libyen. Les gouvernements algérien et égyptien y sont associés... Et c'est justement la réunion tripartite des ministres des Affaires étrangères des pays du voisinage — Tunisie, Algérie et Egypte — qui a eu lieu deux jours plus tard, soit le dimanche dernier 17 décembre. Cette «réunion de coordination» des parrains du dialogue interlibyen est la quatrième, après celle, inaugurale, du 20 février à Tunis, celle du 6 juin à Alger et celle du 15 novembre au Caire... Une prochaine rencontre est d'ores et déjà prévue dans la capitale algérienne, selon une formule tournante : la date exacte, toutefois, n'en est pas encore fixée. La crise libyenne fait-elle du surplace et ces réunions vont-elles se poursuivre indéfiniment tandis que la situation sur le terrain continue de nourrir le désespoir de la majorité des citoyens libyens ? Il est vrai que l'accord de Skhirat est toujours contesté sans être remplacé : il n'existe pas à ce jour d'accord politique entre les parties en conflit qui permettrait de disposer d'un nouveau document. Même si, comme le rappelait récemment l'envoyé spécial de l'ONU, Ghassan Salamé, les points de désaccord qui subsistent ne sont pas «essentiels». Ce qui, en clair, signifie qu'on navigue actuellement en s'appuyant, d'une part, sur certains points admis de l'accord de Skhirat et, d'autre part, sur un fragile consensus autour d'autres points au sujet desquels tout le monde semble se donner du temps afin qu'une position commune arrive enfin à maturité. Il ne serait donc pas vrai de dire que la situation est complètement au point mort, comme voudraient le faire croire les pessimistes d'instinct... Mais l'élément nouveau, c'est surtout le plan d'action de l'envoyé spécial de l'ONU, qui a été soumis à l'approbation du Conseil de sécurité le 10 octobre dernier, et dont les étapes majeures sont l'adoption d'une nouvelle Constitution et l'organisation d'élections législatives et présidentielle. La dernière réunion de Tunis a rappelé l'importance de cet élément. Dans un communiqué final, le ministre des Affaires étrangères, Khemaïes Jhinaoui, a énuméré 8 points qui ont fait l'objet de discussions entre les trois parrains. Et le troisième point énonce en substance que les différents protagonistes de la crise libyenne sont appelés à faire prévaloir l'intérêt général du peuple et l'esprit de dialogue en soutenant le plan d'action de Ghassan Salamé. On notera cependant la présence d'un autre point qui ne semble pas avoir un lien direct avec le processus de résolution de la crise politique en Libye. Il s'agit du point numéro 5 qui fait référence à la gestion par les autorités libyennes du problème de l'immigration clandestine. Le communiqué salue l'effort libyen en cette matière mais rappelle que le phénomène doit être appréhendé du point de vue de ses racines profondes. Entendons : par-delà les images qui provoquent l'émotion du public, aussi bien à travers le drame des naufragés au large des côtes libyennes qu'à travers celui du trafic autour des réfugiés. Les racines profondes, cela renvoie surtout au manque de perspectives de développement dans beaucoup de pays d'Afrique subsaharienne et à la perpétuation d'un sévère déséquilibre nord-sud. Ce qui, à l'évidence, dépasse largement le cadre libyen. Ce même point avait également fait l'objet d'un échange lors de la réunion de «concertation» entre Fayez El-Sarraj et Caïd Essebsi. L'immigration clandestine, avait souligné le chef du Conseil présidentiel du Gouvernement d'union nationale à l'issue de la rencontre, engage une responsabilité commune ainsi qu'une large coordination entre pays africains et pays européens, impliquant aussi certaines organisations internationales... On peut certes s'étonner que la question de l'immigration clandestine s'invite dans les pourparlers interlibyens. Et soupçonner même que des parties européennes sont derrière cette nouvelle version du menu. Mais, dans le même temps, il paraît assez évident que de la même manière que le terrorisme et la contrebande sont des problèmes auxquels il faut impérativement apporter des réponses avant d'envisager l'organisation de rendez-vous électoraux, la question du trafic des êtres humains et même du désordre qu'apporte à la Libye l'arrivée massive sur son sol de réfugiés est également une question qui ne peut être laissée de côté... Sur ces trois questions — le terrorisme, la contrebande et la traite des êtres humains —, les acteurs de la transition politique en Libye doivent d'ores et déjà faire preuve d'un certain niveau d'engagement, ne serait-ce que pour conjurer les soupçons qu'ils pourraient avoir quelques connexions suspectes avec des réseaux liés à telle ou telle de ces trois activités criminelles mentionnées. Cette obligation de dernière heure, pour ainsi dire, complique en un sens les conditions de l'accord politique, et explique en même temps pourquoi son apparition est retardée. D'autant que, comme l'a si bien souligné Fayez El-Sarraj, le problème comporte une dimension internationale et suppose des engagements de la part de nombreux acteurs étrangers, aussi bien africains qu'européens et onusiens. Mais, la contrepartie de la prise en compte de cette question de l'immigration dans les discussions, c'est qu'elle confère au prochain accord politique une dimension de citoyenneté qui est synonyme de stabilité intérieure et de bonne santé politique.