Fethi Akkari met en scène une grande œuvre : «Le Roi Lear» de Shakespeare. Une œuvre immense par sa postérité et à laquelle il a donné un sens moderne A ce travail présenté à l'espace El Hamra samedi dernier en avant-première produit par le théâtre alternatif en partenariat avec l'espace El Hamra et le soutien du ministère de la Culture, Fethi Akkari donne un sens résolument touchant par sa modernité. Le metteur en scène rendra d'abord hommage à Ezzedine Gannoun avant le début de la pièce et parlera d'une pièce antérieure où, ensemble, ils avaient imaginé une bande son basée sur le bruit d'une tempête qui traverse la mer. Et c'est justement par ce bruit de tempête où le vent souffle comme un fou dans la salle que le «Roi Lear» démarrera. Le roi Lear a décidé de partager son royaume entre ses trois filles en fonction de l'amour qu'elles lui exprimeront. La réponse de sa cadette, qui est aussi sa préférée, ne répond pas à son attente. Il la déshérite donc au profit de ses sœurs, bannit le fidèle Kent qui prenait sa défense. Mais l'aveuglement du vieux souverain devant la sincérité de sa fille bien-aimée, déchaînant autour de lui la cupidité, la sauvagerie, la cruauté la plus sinistre, le voue à l'errance et à une déchéance inouïe. Dans le «Roi Lear» de Fethi Akkari, tous les personnages sont féminins et même s'il y a un homme, celui-ci est habillé en femme. C'est que la raison d'Etat, qui dépasse l'identité sexuelle, semble nous suggérer ce choix. «En fait, dans le Roi Lear, Shakespeare m'amuse, dit Fethi Akkari, j'essayais de ne pas voir le texte mais d'imaginer Shakespeare vivre ce texte. C'est cela ma vie durant toute une année où j'ai préparé ce travail. Ce texte est un monument même s'il est très contesté, mais ce qui est curieux, c'est qu'en travaillant dessus j'avançais dans mon théâtre à moi et dans l'esthétique et vu la conjoncture à tous les niveaux dans ce monde où nous vivons, l'esthétique et la théorie du Chaos m'inspiraient beaucoup. Et je me disais que je dois la trouver cette esthétique du Chaos ! En négociant avec Brecht et Aristote, j'ai petit à petit avancé pour arriver à ce résultat. Comme Brecht le disait à Aristote "D'accord pour la fable mais ça ne se fait pas comme ça!". Personnellement, je leur ai dit : d'accord pour la fable mais ce n'est pas une seule fable, mais plusieurs fables à la foi». Au niveau de la structure dramaturgique, Fethi Akkkari s'est inventé dans ce travail le concept de la structure génomique. C'est-à-dire des histoires qui s'entrecroisent, qui s'alternent mais qui concourent toutes pour exprimer le même sens. En effet, plusieurs histoires parallèles s'entremêlent, celle de Lear et de sa famille et celle de Glusester et sa famille, mais la mère n'existe pas dans tout ça ! , il n'y a que des filles dans une famille et des garçons dans l'autre. Présentée en arabe littéraire, la pièce est très réussie au niveau de sa scénographie du début jusqu'a la fin. Une scénographie conduite par Fethi Akkari mais qui répond parfaitement à l'esthétique mise en œuvre. Au niveau de la pertinence, il semble que le metteur en scène a voulu décrire sur un ton shakespearien la fragmentation du pays et sa distribution sur plusieurs parties. «C'est l'un des thèmes qui nous a profondément bousculés pendant ces dernières années en Tunisie. A cette occasion, le spectre politique se révèle animal ! Un spectre où les héritiers s'entretuent et en arrivent à l'assassinat comme celui de Chokri Belaid. Tout le spectacle est aussi une mise à mort de la classe politique. C'est la classe politique qui se met elle-même à mort ! Pour une fois le spectateur ne va pas voir sa bêtise sur scène mais celles de ceux qui le gouvernent». Au-delà du propos et de l'esthétique, il y a le choix des acteurs et des actrices. A part deux débutants, le metteur en scène a choisi de travailler avec des actrices universitaires.