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Le kamikaze
L'entretien du lundi : Fathi Akkari (acteur, metteur en scène et enseignant)

Fathi Akkari n'a pas besoin de se tendre comme un arc pour formuler ses pensées. Dans sa tête, celles-ci sont comme des nuages et les mots, des gouttes de pluie qu'ils laissent tomber.
Cela fait un bon bout de temps que l'artiste, metteur en scène, acteur et enseignant, poursuit son obsession : la remise en question de l'acte théâtral. Ses pièces ressemblent à un laboratoire. Ses écrits jaillissent de ses recherches et du nécessaire dépassement qu'il attend de lui-même. Le souci du détail et du bon geste n'a rien d'exceptionnel ; c'est l'intérêt de la vérité qui le motive. D'ailleurs, ce qui le rend furieux, c'est le mensonge. Il préférerait négliger le statut du spectateur que de le séduire et rompre avec un ami plutôt que de le supporter. Dans sa vie, il en a vécu des naissances et des deuils. Cela lui a apparemment appris à faire la part des choses. Aujourd'hui, Fathi Akkari parle beaucoup de l'amour et de la beauté de la vie. Cette noirceur, qui filtrait souvent de sa façade peu ordinaire, n'est plus. Il s'arrange, désormais, pour que sa journée se déroule le mieux possible. Sa famille et la nature sont ses principales ressources pour être ici et maintenant. Mais il aime se perdre dans le labyrinthe de la pensée pour créer et recréer le théâtre, s'appropriant cette citation de Nietzsche : « C'est toujours à contre-cœur que j'ai demandé mon chemin. Je préfère interroger les chemins eux-mêmes et les essayer. Essayer et interroger...Ainsi est ma façon d'avancer ». Dans cet entretien qu'il a bien voulu nous accorder, Akkari nous fait part de ses nouvelles théories : le Théâtre impossible et l'Acteur Kamikaze.
Que représente le théâtre pour vous ?
Je ne suis plus convaincu de la définition aristotélicienne du théâtre, à savoir qu'il est mimesis, c'est-à-dire, représentation de la vie. A mon humble avis, le théâtre n'était jusqu'ici que représentation de la mort dans la vie, alors qu'il devrait s'exposer comme vie (artistique) et rappeler le bonheur de la vie. Ainsi le beau serait une nécessité au bonheur.
Quelles sont les étapes les plus importantes de votre vie d'homme de théâtre ?
D'abord le CAD (Centre d'art dramatique) qui représente pour moi une première naissance. A l'époque, j'ai appris à considérer le théâtre comme un acte d'histoire et de culture. Tout comme les alchimistes, à la première phase, j'ai découvert la connaissance et la maîtrise de la matière. En deuxième phase, j'ai découvert le temps comme matière. Aujourd'hui, j'en suis à ma naissance poétique, une troisième phase que j'appellerais également l'élixir de la vie, une espèce de complétude...
Comment êtes-vous passé à cette complétude?
Il n'y a pas longtemps, je faisais le théâtre dans la peur... La peur d'être dans l'erreur, de ne pas pouvoir communiquer avec le spectateur citoyen, de ne pas être dans la pertinence... Peu avant, le 14 janvier 2011, un nouveau processus a commencé, dans lequel je ne me juge plus et je ne me positionne plus par rapport à mes « pairs » actuels ou anciens. Je revendique, désormais, de vivre ma place. Mais de grâce, ne pensez pas qu'il s'agit d'assassinat du père, il est tout simplement question d'un recentrement radical de moi-même.
Quelles sont les pièces où vous avez joué et qui vous ont marqué ?
Je n'oublierai jamais Le drame de l'homme. C'était en 1970 au théâtre scolaire, au lycée Montfleury. Cette pièce représente pour moi l'époque du mythe du corps, l'expression corporelle et la révolution par le corps. Puis, il y a la première création du Théâtre Organique intitulée La Traite qui date de 1981. C'était l'avènement du théâtre narratif et du théâtre militant ou, si vous préférez, social. Conte-moi, raconte-moi, une pièce créée quelques années plus tard, d'abord en France dans le cadre de l'expérience du Théâtre à domicile (l'espace privé comme espace de fiction), puis réadaptée pour la scène et censurée, me rappelle que la compagnie théâtrale était ma famille comme l'est le cirque pour les gens du cirque...
Vous avez l'air d'avoir changé d'avis...
Oui. Après Eddalia en 1987, une pièce qui a été bien médiatisée et qui a accédé à un plus grand nombre de public, j'ai compris que personne n'est nécessaire pour personne, sinon pour le bonheur. Même si le théâtre est connu pour être l'art du pluriel et du collectif, l'artiste ne peut éviter de vivre cette suprême solitude, « phase suprême de la critique», comme chantée par Léo Ferré.
Qui considérez-vous comme étant vos maîtres ?
Jaques Lecoq (cofondateur du Piccolo Teatro avec Strehler, et fondateur de sa propre école, acteur, metteur en scène et essayiste du corps) , Eugenio Barba (disciple de J. Grotowski et fondateur de l'ISTA, école du théâtre et d'anthropologie), Ludvick Flashen (compagnon de Grotowski, directeur littéraire de son laboratoire, fondateur du training et de vocalise), et Augusto Boal (théâtre et politique, fondateur et concepteur du Théâtre de l'opprimé, Théâtre forum, Théâtre invisible...).
Que vous ont-ils apporté ?
Plutôt que de m'intéresser au jeu ou à « la cuisine théâtrale », une question s'imposait en moi : la genèse de leur théâtre, du parcours que chacun de ces maîtres a suivi, pour me rendre compte que j'étais en train de tracer le mien.
A part le fait d'être acteur et metteur en scène, vous êtes également docteur en théâtre. Quel est l'apport de l'universitaire pour l'artiste que vous êtes ?
Si le metteur en scène a atténué la valeur de l'acteur, le pédagogue didacticien, lui, a effacé ou pris le dessus sur le metteur en scène et sur l'acteur. Maintenant je n'ai plus envie de faire du théâtre...Et surtout pas par habitude.
Qu'est-ce qui vous fait dire que vous n'avez plus envie de faire du théâtre, alors que vous venez de boucler le premier cycle de représentations d'une nouvelle création intitulée Chaâbi jiddan ou Agora ?
Je m'explique. Je n'ai plus envie de faire « du» théâtre, mais j'ai plutôt envie de faire « mon » théâtre. C'est-à-dire que je sens le besoin, aujourd'hui, de créer un foyer où la création, son sens et ses outils, sont l'objet même du travail et d'un questionnement permanent... Le théâtre du réel n'a plus de sens pour moi, il est définitivement mort... Depuis peu, je suis en interrogation permanente d'un équivalent théâtral à l'esthétique de la révolution.
C'est-à-dire ?
Si je considère la révolution tunisienne comme une représentation, et si je la consomme comme un spectateur, je pourrais y identifier une esthétique particulière qui me mettrait sur la piste d'un mouvement théâtral dans le prolongement d'un théâtre de la post-modernité...
Bien avant cela, n'étiez-vous pas absorbé par une autre théorie qui a fait l'objet d'un livre paru il y a deux ans, celle du théâtre impossible et de l'acteur Kamikaze ?
Tout à fait et ça continue encore. C'est par provocation que j'ai baptisé mon acteur ainsi, m'inspirant d'une légende japonaise qui a créé le mythe des kamikazes. Contrairement aux kamikazes militaires ou politico-militaires, ceux qui donnent la mort, l'acteur Kamikaze est celui qui meurt sur scène pour donner la vie.
Que voulez-vous dire par « l'acteur est celui qui meurt pour donner la vie » ?
Dans le théâtre et depuis toujours, il ya trois identités remarquables : l'identité citoyenne, l'identité professionnelle et l'identité culturelle (le citoyen, l'acteur et le personnage). Par l'acte de la mise en scène et l'encadrement de l'acteur, ces trois identités vont être fragmentées pour fusionner et créer un corps sans identité. Ce que Roland Barthes (essayiste, structuraliste, amoureux du théâtre brechtien) définit comme le corps « orgasmatique ». Puisque mon acteur n'a plus d'identité, il meurt donc, pour donner la vie au spectateur citoyen. C'est l'acteur kamikaze. L'espace théâtral de ce dernier est comme le définit encore Roland Barthes : celui de l'entre-deux. Cette rencontre imaginaire et symbolique entre l'émetteur et le récepteur.
Et le théâtre impossible dans tout ça ?
Le Théâtre impossible, c'est celui que je devrais faire, que je ne pourrai jamais faire et que je consacrerai ma vie à vouloir atteindre. C'est aussi celui qui est déjà fait, que nous sommes en train de faire (comme genre humain) et qu'on ferait jusqu'à ce que fin s'en suive. C'est ce théâtre qui interroge les principes de la création théâtrale et non son produit. C'est un théâtre matriciel.
Est-ce que cette réflexion a été mise à l'épreuve dans votre dernier spectacle ?
Je dirais qu'elle a été mise à l'épreuve timidement. Mais il y a quand même des signes précurseurs, et je pense détenir réellement une particularité à laquelle il va falloir donner certaines conditions...
Et quelle est cette particularité ?
C'est un type d'esthétique porteuse d'une dimension politique adaptée à ce qu'on est en train de vivre depuis deux ou trois ans, et surtout depuis la révolution. C'est une esthétique de la déflagration, du chaos, qui se situe entre le réel et le virtuel. Pour actualiser le sens du théâtre, cette esthétique nouvelle devrait rappeler que cet art est une nécessité à la vie en commun. Et pour ce faire, elle a besoin d'une méthode.
Et quelle est cette méthode ?
Après les balbutiements, la méthode s'est imposée, claire et évidente. Elle s'appelle la « Bioéthique ». C'est une notion empruntée à la morale et à la médecine. L'enjeu de la médecine étant la vie et celui de la morale étant de fixer des valeurs pour la vie en commun. Le théâtre devrait cesser de se définir par rapport à la politique ou à l'économique et se réconcilier, enfin, avec ses origines : la morale et la philosophie.
Si nous avons bien compris, vous travaillez sur le théâtre impossible comme sublimation et la bioéthique comme méthode ?
Le type de représentation que je cherche n'offre pas cette « marchandise immatérielle » qu'est la pièce de théâtre — telle que définie par Bertolt Brecht — à mettre sur le marché, mais plutôt la création comme objet et enjeu de représentation.
Si vous poussez votre réflexion jusqu'au bout, que deviendrait votre théâtre ?
Tout citoyen accéderait, alors, à cet art de la vie.
Que verrait-on sur scène ?
Pour le moment, je ne peux qu'offrir des bouts de choses, à savoir : des mouvements de collage et de montage. Un « court-circuitage » de la perception. Des fables qui s'entrecroisent. Des personnages qui ne le sont pas tout à fait, mais qui peuvent être des moments privilégiés de vie. Un rythme accéléré. Des corps qui se « sémiotisent » à vue d'œil et qui s'effacent. Des altercations entre émotions sociales et celles de l'intelligence et du savoir. Des alternances entre une poésie littéraire et tout ce qu'on peut transposer du dialecte en le poétisant. Une conciliation entre un référentiel livresque avec un langage et un imaginaire quotidiens...du « bas peuple ». Une apologie du subversif et une valorisation de l'homme sur le personnage. Et surtout, pas de leçons à donner au spectateur. Il viendra et prendra ce qu'il voudra. L'intelligence humaine a fait faillite après la révolution. Nous nous rendons compte que nous ne possédons aucun modèle de connaissance qui nous aiderait éventuellement à comprendre. Ce qui s'est passé un certain 14 janvier 2011 dépasse toutes les prévisions et les explications. Et c'est tant mieux, ça n'est que du bonheur.


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