Présenté en avant-première mardi dernier au Rio, le premier court métrage de Rim Nakhli décrit le monde subtil et insaisissable des adolescents. Il est très intéressant d'interroger le regard de nos jeunes sur le cinéma, non pas en leur demandant un témoignage, mais en leur donnant la chance de se frotter à l'expérience du tournage. Le résultat est ce que Léo Ferré appelait la «mathématique bleue», c'est-à-dire mettre quelqu'un dans l'expérience des calculs côté production et, de l'autre, libérer son imaginaire, le bleu, étant la couleur de l'évasion. «Ranim» (Evasion), ce premier court métrage de Rim Nakhli, semble avoir exploité ces deux volets, puisqu'il s'agit d'un film autofinancé. Un film «low budget» d'une part, et d'autre part, il s'agit d'un film où la réalisatrice a donné libre cours à son imagination pour présenter un langage cinématographique qui lui est propre. «Ce film se déroule sur trois actes qui relatent trois courtes histoires, dont les personnages sont des ados et des jeunes Tunisiens, déclare Rym Nakhli. Ce tryptique se focalise sur des protagonistes qui vivent une réalité dure et froide qu'ils essayent d'esquiver et de transcender. Tout a commencé avec une image qui m'a traversée l'esprit, celle d'un voile volant, emporté par le vent. C'est en terminant l'écriture du premier acte de ce tryptique, celui de "Ranim", que m'est venue l'idée d'en écrire deux autres, toujours sur le thème de l'adolescence et de la jeunesse qui me tient beaucoup à cœur. Ce qui m'intéresse, c'est la description des sentiments et de l'ennui qu'éprouvent ces personnages et leur incapacité à s'évader d'un quotidien morose». Une réflexion sur le monde des adolescents encore et toujours méconnu de la part des adultes. Un monde qui bouillonne et qui explose, mais ses détonations sont silencieuses et son mutisme est dangereux. Ce silence explosif, on le sent dans le dialogue entre les personnages, dans leur regard, dans la manière dont ils sont filmés et, surtout, dans cet impression de vide qui les entoure. Même avec de jeunes acteurs néophytes, le film arrive à nous faire sentir cette quête d'une inaccessible étoile que le monde des adultes rend encore plus ardue. D'ailleurs, le seul visage d'une femme adulte à la fin du film sonne comme une apparition qui tranche comme un couteau dans le monde de ces adolescents à la recherche d'une moindre brèche pour s'enfuir. «Le travail avec les acteurs a été tout aussi intense, car il s'agit de jeunes néophytes, ajoute Rim Nakhli, J'ai donc fait un casting sauvage, pour trouver les profils qui correspondent le mieux aux personnages. J'aime beaucoup les films qui sont centrés sur la performance de l'acteur, comme les films de John Cassavetes, Roberto Rossellini ou d'Abdellatif Kechiche. C'est pourquoi je pense que travailler avec des acteurs non professionnels offre plus de liberté et d'opportunités pour la direction d'acteurs». Le film est aussi une tentative de dépeindre des sentiments subtils et contradictoires chez cette jeunesse fragile et sans voix, ce qui est en lui-même un défi pour une jeune réalisatrice qui choisi de procéder par petites touches afin de saisir l'instant fuyant dans la vie d'un adolescent et qui peut le marquer à vie. «Je pense que l'être humain, au quotidien, s'exprime ainsi par des demi-mots, des demi-pensées, des demi-sensations, qui sont peut-être plus vrais que le reste, que ce qu'il exprime volontairement, conclut Rim Nakhli. Il s'agit donc de les saisir au plus près avec une caméra de l'effleurement».