Olfa Lamloum est directrice du bureau d'International Alert à Tunis. Politologue de formation, elle a mené et coordonné plusieurs recherches sur la question de la marginalisation et de l'exclusion urbaines et périurbaines. Michel Tabet, lui, est un réalisateur franco-libanais dont l'approche s'inscrit au croisement entre documentaire et sciences sociales. Il collabore régulièrement avec des chercheurs, notamment du Cnrs, pour développer des dispositifs d'enquête filmique. Ils ont ensemble réalisé le film documentaire Voices From Kasserine. Interview à deux voix.* Sur quelle base avez-vous choisi Michel Tabet et vous Olfa Lamloum les personnages à interviewer pour votre documentaire? Le choix des intervenants s'appuie sur les relations de confiance établies par International Alert à Kasserine. Il a aussi été orienté en fonction des thématiques que nous avons décidé de traiter. De façon plus concrète, nous avons procédé en deux temps : nous avons commencé par faire une mission de repérage de dix jours, au cours de laquelle nous avons parcouru le gouvernorat et rencontré des gens. Nous leur avons parlé de ce projet et évoqué des questions que nous souhaitions aborder : la gouvernance de l'eau, l'abandon scolaire, la contrebande, les révolutions de 1864, 1906 et 2011 ... Au fil de ces échanges et interactions, certaines personnes nous ont parues indispensables pour notre projet. Quand nous sommes revenus pour filmer nous avons également fait de nouvelles rencontres que nous vons intégrées dans le film. La parole, les voix et l'émotion sont quelque part les fils conducteurs du documentaire. Constituent-ils les choix artistiques pour lesquels vous avez opté? Le film raconte Kasserine par la voix de ses habitants, six ans après la Révolution. La question de la mise en image de la parole est donc centrale. Elle privilégie la notion d'écoute comme principe de prise de vue et de réception. Installée dans la durée, la caméra filme la parole à travers des plans fixes, elle saisit les postures, les silences, les bribes de mémoires, les hésitations ... décrivant le plus poétiquement possible le paysage et le contexte à partir desquels chacun des protagonistes s'exprime. La parole est également captée à travers les productions culturelles locales : rap, poésie, chanson, épopée sont abordés comme des formes d'entretien. Ils marquent le passage d'une séquence à l'autre, s'imposant comme des témoignages à part entière tout en se fondant dans l'image. Plus largement, ce film a été conçu comme une expertise citoyenne qui se fait l'écho d'une pluralité de voix : hommes, femmes, jeunes chômeurs, paysans, enfants, de moins en moins audibles dans l'espace public et médiatique tunisien. Vous avez également travaillé auparavant sur les jeunes de douar Hicher et Ettadhamen. Avez-vous un projet de documentaire sur cette région à la marge de la Ville de Tunis? Nous n'avons pas de projet pour le moment. En revanche, nous avons réalisé deux courts films de plaidoyer. Le premier retrace notre expérience de mise en place de budget participatif à Ettadhamen. Le second porte sur l'expérience soutenue par International Alert auprès des "barbechas" (fouilleurs de poubelles) en faveur de la mise en place d'une unité de production de collecte de tri et de recyclage du plastique dans une démarche d'économique sociale et solidaire.