Il fallait bien prévoir une projection pour le public algérien du film Les palmiers blessés de Abdellatif Ben Ammar : un film qui marque le retour à la coproduction entre la Tunisie et l'Algérie après tant d'années d'interruption. Le voyage de l'équipe du film, accompagné de quelques représentants de la presse tunisienne, était marqué par les belles rencontres et tant de souvenirs enfouis. Alger est une ville qui vit sur les traces de son passé. Des hauts lieux qui ont vu défiler des tas de stars et de personnages de la culture ont été les décors du voyage de ce film et de sa rencontre avec le public algérien. L'hôtel Essafir, connu de tous à travers son ancien nom, l'Aletti ( lieu de résidence de la délégation tunisienne), avec une façade tournée vers le port d'Alger et l'autre donnant sur la rue Alfred-Leluch (Asselah-Hocine), est une bâtisse art-déco qui était au cœur de la vie mondaine à Alger. Construit à grands frais et inauguré lors de la célébration du centenaire de la présence coloniale en Algérie, l'été 1930, ce grand palace a accueilli de grands noms tels que Fidel Castro, Che Guevara, le roi Hassan II, Jamel Abdenasser, François Mitterrand (ministre à l'époque), Jacques Chirac (ministre), Charlie Chaplin, Georges Brassens, Charles Aznavour, la princesse Caroline de Monaco, le prince Albert... La projection ! Devant la salle «El Mougar», l'affiche du film Les palmiers blessés surplombe la rue à côté de celle de Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, récemment sorti sur les écrans algérois, et celle du prochain concert de la rappeuse Diam's. Une telle affiche ne peut qu'intriguer les passants, d'autant plus qu'on ne voit que rarement des films tunisiens à l'affiche. La projection est annoncée à 19h00, le hall d'El Mougar est surpeuplé, entre presse et intellectuels : on filme, on interviewe… comme toutes les premières de films. Et, avant de passer au film, il fallait bien rendre hommage à un vieux vétéran du cinéma algérien, Larbi Zakkel, à qui Abdellatif Ben Ammar a fait appel pour une participation honorifique dans son film, et qui est récemment disparu après une longue et belle carrière au théâtre comme au cinéma. Cette figure emblématique a tourné dans la majeure partie des réalisations cinématographiques après l'indépendance : La Bataille d'Alger , L'opium et le bâton, Chronique des années de braise, Le vent du sud, et bien d'autres comme L'honneur de la tribu, Moissons d'acier, De Hollywood à Tamanrasset et Fatima, l'Algérienne de Dakar… Revenons au film ! La projection s'est déroulée devant un public attentif, un silence solennel a accompagné la quête de Chamma sur la mort de son père lors de la guerre de Bizerte. A travers la dactylographie d'un manuscrit écrit par un ''faux romancier tunisien'', elle découvre petit à petit comment des «intellectuels» sans scrupules peuvent falsifier l'Histoire à des fins de pouvoir et d'honneurs immérités. Durant ses investigations, elle découvre aussi la ville de Bizerte. Et au gré des rencontres avec ceux qui ont connu son père, elle découvre le patriotisme de ce dernier et de ses camarades, témoins aigris par le temps, las de taire la vérité sur les évènements enfouis dans leur mémoire. La surprise qui attendait l'équipe du film à la fin de la projection était de taille c'est la présence discrète d'un des symboles de la résistance algérienne contre l'occupation française, Djamila Bouhired, qui a pris en affection la comédienne Leila Ouaz et lui a fait part de sa profonde émotion. Une rencontre de quelques minutes qu'on ne risque pas d'oublier de si tôt. La conférence de presse ! Encore un autre lieu mythique, l'Atlas, une salle polyvalente avec son toit ouvrant qui a accueilli de grandes stars de la chanson internationale : Mériam Makéba, Johnny Halliday et on en passe. Et, à 10h00 tapantes, Abdellatif Ben Ammar et ses acolytes, les comédiens Leila Ouaz, Rim Takoucht, Aida Kachoud, le musicien Farid Aouamer et la productrice Nadia Charabi, étaient prêts à répondre aux questions de la presse algérienne. Visiblement, on s'attendait à une présence plus importante des comédiens algériens dans ce film : c'est autour de cette question que tournait la plupart des remarques. Malgré la participation de trois comédiens algériens et l'hommage rendu à Larbi Zakkel, la presse algérienne reprochait au film la présence en second plan des acteurs algériens. A cette question, la grande dame du théâtre algérien, Aida Kachoud, a tenu à dissiper le malentendu : « Il n'existe pas de grands rôles et de petits rôles, il y a de grands et de petits comédiens», et d'ajouter : «Il est vrai que mon rôle n'est pas très grand dans le film mais ô combien déterminant, et je pense qu'il fallait une comédienne professionnelle pour le faire, pour faire passer l'émotion qu'il faut là où il faut, et que le moindre regard ou expression du visage soient expressifs». Abdellatif Ben Ammar a tenu par la même occasion à souligner l'importance de la coproduction intermaghrébine qui nous permet de traiter librement de notre histoire commune, et des sujets restés à ce jour mis sous silence à cause du désintérêt des sources de financement occidentales. «Les palmiers blessés a rouvert les portes de la coproduction tuniso-algérienne et celle de la collaboration et de l'échange dans les différents départements, non seulement des comédiens, mais aussi dans la musique et la technique», explique Nadia Charabi, en attendant que d'autres collaborations voient le jour. Les palmiers blessés à Alger à remué des souvenirs enfouis et des pages d'une mémoire collective, mais aussi tant de rencontres qu'on n'est pas prêt d'oublier…