L'artiste congolais Saintrick, révélé au Marché des Arts et du Spectacle africain (Masa) d'Abidjan en 1999, sort son quatrième album, Nsamina, "la clarté divine" en lari (langue parlée au Congo). Rencontre avec un artiste, basé à Dakar, qui s'amuse avec les rythmes et les langues africaines. L'air jovial, chapeau noir sur la tête d'où dépassent ses dread locks, Saintrick nous reçoit au cœur de Ouakam, un quartier populaire de Dakar. Avec ses trois frères et ses collègues, il y a établi sa structure, Zhu Culture, qui brasse la mode, la musique et la formation. Né le 11 mai 1968 à Brazzaville, Patrick Joël Mayitoukou se sent plus Sénégalais que Congolais. Ce comédien et musicien s'exprime aisément en wolof. Le pays de la Teranga est devenu sa terre d'adoption il y a neuf ans. A Dakar, "dans la confusion, on me prend souvent pour un Sénégalais", dit –il. Son amour pour le Sénégal naît en 1973. Enfant, il y reste dix ans. A 15 ans, il perd son père. Le décès est entouré de querelles familiales, sa mère et sept enfants sont déshérités et rentrent à Brazzaville. Ils doivent alors tout reprendre à zéro. "J'ai été traumatisé, parce que je n'ai pas pu verser une larme", se souvient Saintrick. "Le seul moyen d'expression que j'ai pu avoir, ça a été de me confier sur papier et de faire de la musique". Saintrick joue d'abord de l'harmonica avec le Clef boa, un petit groupe avec lequel il fait sa première télévision en 1984. Puis il s'essaie à la guitare et au chant. Il intègre un groupe de negro-spirituals, puis une chorale catholique et finit par faire ses armes aux côtés du Ttatchoulene, un groupe de reggae. A cette époque, il reste attaché à sa vie dakaroise. Il découvre les grandes voix de la chanson sénégalaise : ses amis lui envoient des cassettes du Super Diamono, d'Oumar Pène, de Baaba Maal, d'Ismaël Lô, etc. Son premier morceau raconte naturellement sa nostalgie du Sénégal. Le Yeketi Saintrick franchit le pas le 18 août 1988, en créant son propre groupe : les Tchielly. L'artiste congolais veut innover. A cette époque, le tout Brazza vibre au rythme de la rumba. Lui veut introduire un "style ouest-africain". Son style ? Le "Yeketi", qui signifie "s'élever" en wolof (langue majoritairement parlée au Sénégal, ndlr). Ce leitmotiv, Saintrick le traduit simplement par "l'élévation". "On élève notre mentalité, notre esprit et notre manière de voir les choses", explique-t-il. Cette ouverture lui permet de créer une alchimie musicale. "Je voulais mélanger le mbalax avec les sonorités et les rythmes du Congo : j'ai pris un peu de wala et un peu de résidu de mbalax… On me prenait pour un fou", dit-il le sourire aux lèvres. Car ce nostalgique du pays de la Teranga "jouait mal le mbalax, les gens [le] regardaient en chien de faïence". Ce scepticisme ne l'ébranle pas : Saintrick est convaincu qu'une fusion entre musiques africaines est l'avenir de l'industrie musicale. Mais, sur le fond, ses textes pointent du doigt les maux de la société. Ses textes critiques lui vaudront des menaces de mort qui le pousseront à quitter Brazza en 1997. Son nouvel album, Nsamina ("la clarté divine" en lari), est le fruit de trois ans de travail. Dans ce dernier opus, Saintrick passe allègrement du wolof au lari, en passant par le français. Il joue sur les mots : le titre Bolé bolé signifie par exemple, "rassembler" en wolof.