Le gouvernement se trouve dans une situation intenable. Youssef Chahed s'est résolu à admettre que les choses ne sont pas faciles dans cette conjoncture marquée par la crise. Il doit se plier au devoir de vérité pour pouvoir rallier les plus réticents des partenaires à ses réformes, mais également l'ensemble des Tunisiens, les premiers à supporter le poids de la crise. A ce stade, la communication demeure le meilleur moyen pour convaincre Les grandes réformes sont douloureuses mais nécessaires pour la transformation de la société et la vie des Tunisiens. Depuis le temps qu'on en parle, elles tardent à être mises sur le tapis. Pourtant tout le monde les revendique mais tout le monde n'est pas d'accord ni sur la démarche ni sur l'approche. Gouvernement, organisations nationales et société civile s'accordent sur l'urgence d'une nouvelle stratégie concertée pour aller de l'avant, car la situation générale du pays est mauvaise et la crise est abyssale. Le bilan est sans concession. Experts et responsables, le proclament sans ambages, s'accordent à dire que l'on est arrivé à « la limite des chiffres ». Le président de la République Béji Caïd Essebsi, a reconnu dans son discours prononcé le 20 mars dernier à l'occasion de la célébration du 62e anniversaire de l'indépendance que « la Tunisie a connu une régression dans plusieurs domaines depuis le 14 janvier 2011.Tous les indicateurs économiques sont déjà dans le rouge». Un bilan sans concession Le taux d'inflation s'est aggravé pour se situer à 7,6% fin mars dernier et le pays continue de s'endetter pour parer aux besoins les plus urgents. Le taux d'endettement tourne actuellement autour de 70% du PIB, alors que le déficit commercial a atteint les 3.650 millions de dinars. Les dépenses publiques en Tunisie ont atteint 46,5%, ce qui représente « un record mondial pour les pays en voie de développement et émergents en dehors de Cuba ». Les caisses sociales souffrent d'un mal endémique et sans l'intervention de l'Etat elles seraient incapables de payer les pensions des retraités. Le déficit cumulé entre 2011 et 2017, qui frôle les 4.000 millions de dinars, a impacté tout le système de santé dans le pays. On est tombé dans une sorte de cercle vicieux. Les caisses sociales ne versent pas les contributions de leurs affiliés à la Cnam et cette dernière ne paie pas les hôpitaux et les pharmacies. La fonction publique souffre d'un surplus accumulé depuis 2011 avec le recrutement de près de 200.000 nouveaux agents. La hausse de la masse salariale, au cours des sept dernières années, constitue la principale cause de la crise des finances publiques dans le pays. Au total, les rémunérations des fonctionnaires ont augmenté de plus de quatre points pour atteindre 14,6% du PIB. Elle est parmi les plus élevées au monde. Le déficit de la caisse nationale de compensation grève le budget de l'Etat et elle a quintuplé en douze ans passant de 345 millions de dinars en 2006 à 1.570 MD en 2018. Quant aux entreprises publiques, la plupart d'entre elles souffrent d'un problème de gouvernance et sont dans un état de déficit chronique. Le symposium organisé hier par le gouvernement avec la participation des représentants des partis politiques, des organisations nationales et de la société civile aura permis, au moins, un échange sur le contenu de ces réformes. En l'absence d'un partenaire de poids, l'Ugtt qui a préféré, plutôt, se concentrer sur la nouvelle feuille de route que prépare la commission technique issue de la réunion des signataires du « Document de Carthage », le chef du gouvernement a clairement indiqué que rien ne se fera sans concertation avec la centrale syndicale. Ce symposium, a-t-il annoncé, « n'est pas une alternative au processus de dialogue des parties signataires de l'Accord de Carthage ». Il a ajouté que « le gouvernement n'a aucunement l'intention de vendre les institutions publiques » qui « représentent la stabilité pour les fonctionnaires ». Celles classées comme stratégiques comme « la Steg, la Sonede, la Sncft, la Poste tunisienne ainsi que les établissements scolaires, universitaires et les établissements relevant du ministère de la Santé » sont pour lui intouchables. Par contre, les entreprises publiques qui exercent dans des secteurs concurrentiels pourraient être sujets à discussion avec les partenaires sociaux, car il n'est pas normal qu'elles continuent à rogner sur le budget de l'Etat qui devrait aller, en priorité, au développement régional. Une annonce tardive L'annonce de ces projets de réformes, un peu trop tardive, puisque bientôt on va aborder la dernière ligne droite en vue des prochaines échéances de 2019, Youssef Chahed, ou encore son prédécesseur Habib Essid, aurait dû anticiper dès sa prise de fonction pour engager des réformes concertées. Aujourd'hui, son gouvernement est sous pression, aussi bien de la part des partenaires sociaux que de celle des bailleurs de fonds internationaux. L'Ugtt a déjà dégainé et n'a que des mots durs contre Youssef Chahed et son équipe. La centrale syndicale est un acteur majeur de la scène politique et sociale, tout comme l'Utica qui semble moins virulente, mais s'accorde avec la centrale syndicale sur la dégradation de la situation générale. Les signataires du « Document de Carthage », l'ont dans le viseur et préparent un plan de sortie de crise qu'il sera appelé à concrétiser. Il se pourrait que le plan ne contienne pas les réformes annoncées, ce qui compliquerait davantage sa tâche. Le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l'Ocde, l'Union européenne et d'autres institutions internationales ont mis le pays sous la loupe. Bien que le chef du gouvernement le rejette, le FMI est en train d'imposer à la Tunisie des réformes structurelles, basées sur des mesures impopulaires mais qui, selon ses experts, sont le seul remède à la crise que vit le pays. Il veut appliquer des politiques qui ne sont pas adéquates à la structure de l'économie tunisienne, selon plusieurs experts. L'Ocde, à son tour, recommande à la Tunisie d'initier des réformes structurelles, de continuer à ne remplacer qu'une partie des fonctionnaires et à augmenter l'âge de départ à la retraite. Le gouvernement se trouve dans une situation intenable. Youssef Chahed s'est résolu à admettre que les choses ne sont pas faciles dans cette conjoncture marquée par la crise. Il doit se plier au devoir de vérité pour pouvoir rallier les plus réticents des partenaires à ses réformes, mais également l'ensemble des Tunisiens, les premiers à supporter le poids de la crise. A ce stade, la communication demeure le meilleur moyen pour convaincre.