Il est dans de beaux draps notre chef du gouvernement, Youssef Chahed. Il se trouve dans un dilemme cornélien. D'un côté, Youssef Chahed s'est trouvé dans une position politique si inconfortable politiquement qu'il a été obligé de s'abriter sous le parapluie de l'UGTT, la seule organisation de son poids qui puisse le protéger des différentes et diverses pressions. D'un autre côté, Youssef Chahed sait bien qu'il va devoir batailler dur avec la même UGTT en vue de la prochaine loi de finances 2018 et qu'il n'a pas trop intérêt à se mettre la centrale syndicale sur le dos. Donc, voilà le décor planté de la situation actuelle du chef du gouvernement. Il va devoir ménager la chèvre et le chou et ne pas se mettre dans une position qui lui ferait perdre le soutien de l'UGTT. En effet, cette dernière est la seule organisation qui a apporté un soutien inconditionnel au chef du gouvernement particulièrement dans l'épisode du remaniement. Les autres intervenants ont, certes, apporté également leur soutien mais celui-ci était conditionné à certaines réserves. Les uns se sont échinés à décrire la forme du remaniement entre partiel et large, les autres se sont concentrés sur la qualité des personnes qui seront, ou non, nommées. L'UGTT, quant à elle, n'a pas chipoté, pour une fois. Elle a exprimé, haut et fort, un soutien inconditionnel à Youssef Chahed. Ce soutien inespéré et inconditionnel a permis à Youssef Chahed d'avoir une marge de manœuvre qu'il n'aurait pas eu sans le soutien de la centrale. Ni son parti, ni ses partenaires au pouvoir, ni même la présidence de la République n'ont fourni au locataire de la Kasbah un soutien aussi marqué à sa personne.
Le soutien de l'UGTT à Youssef Chahed tient principalement à la personnalité de Noureddine Taboubi. Ce dernier avait déclaré que certains partis avaient envisagé de remplacer Youssef Chahed pour ce remaniement. Même s'il s'agit certainement d'une proposition marginale, on peut imaginer que l'UGTT lui a opposé une fin de non recevoir. Noureddine Taboubi est un homme d'appareil, bien plus « politicien » que son prédécesseur Abassi. C'est un calculateur né qui a roulé sa bosse pendant des années aussi bien au sein de l'UGTT que dans les négociations avec les différents gouvernements, avant la révolution et après. Il s'agit d'un homme ouvert au dialogue et à la négociation, beaucoup plus que Houcine Abassi à qui l'affrontement n'a jamais fait peur.
Mais en tant qu'homme baigné dans la politique, Noureddine Taboubi sera en mesure de tirer les dividendes d'un tel soutien au chef du gouvernement. Les occasions pour cela ne manqueront pas mais on peut supposer que l'un des premiers gros dossiers qui mettront aux prises Taboubi et Chahed est celui de la Loi de finances 2018. Après que les patrons ont fait le sacrifice des 7,5% de taxe exceptionnelle en 2017, ce sera cette année au tour de l'UGTT de faire des sacrifices. Un premier clash a eu lieu à propos des recrutements dans la fonction publique durant lequel l'UGTT exige de recruter pour l'enseignement et la santé.
Youssef Chahed arrivera-t-il à faire « avaler la pilule » à l'UGTT et lui faire admettre la quantité de réformes douloureuses nécessaires pour le pays ? Rien n'est moins sûr. Il faut savoir que Youssef Chahed n'a pas les moyens de se dresser contre la centrale syndicale car il serait démuni sans elle, car il ne bénéficie d'aucun soutien politique réel de la part des autres partenaires signataires de l'Accord de Carthage. Donc, ce serait une démarche risquée de la part du chef du gouvernement, surtout à l'aube d'un mois de janvier 2018 qui s'annonce chaud. De son côté, l'UGTT s'acharnera à défendre les intérêts de ses affiliés mais sans perdre de vue le fait que l'opinion publique scrutera soigneusement le comportement de la centrale syndicale sur la question de la loi de finances.
Une jolie partie d'échecs se profile à l'horizon concernant une loi de finances extrêmement importante pour l'avenir économique de la Tunisie et surtout pour expliquer la vision de ce nouveau gouvernement. Le chef du gouvernement a déjà fait part d'un document de stratégie économique qu'il a distribué aux signataires de l'Accord de Carthage, mais le projet de loi de finances qui sera présenté sera la réelle traduction de la stratégie de ce gouvernement. C'est à l'aune de ce projet que l'on jugera les intentions du gouvernement, et c'est à l'aune de la version qui sera votée que l'on pèsera le réel poids de Youssef Chahed et de son gouvernement.