Le projet de Loi de finances 2017 a provoqué, à son annonce, un tollé général dans le pays chez pratiquement toutes catégories sociales et les différentes parties prenantes à la gestion de la chose publique, à savoir, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), l'Union tunisienne pour l'industrie, le commerce et l'artisanat (UTICA), l'Union tunisienne pour l'agriculture et la pêche (UTAP), les professions libérales, etc. Mais ce qui est curieux, c'est que tous les partis politiques, ou presque, n'ont pas pris de position franche et tranchée concernant cette question dans le sens où ils observent un silence étrange alors qu'ils auraient dû se mobiliser pour soutenir le gouvernement d'union nationale afin de lui permettre de négocier en position de force avec les différents protagonistes. Cette attitude des partis a fait dire aux observateurs que le gouvernement de M. Chahed n'a pas eu la coordination nécessaire avec les composantes politiques avant d'élaborer le projet de budget de l'Etat et la Loi de finances, d'où la réaction forte de rejet des acteurs sociaux et économiques. Il faut dire que les critiques des dispositions prévues, mettant à nu son impact négatif sur tel ou tel secteur ou sur telle ou telle frange de contribuables, sont restées dans les généralités, plus précisément en matière des propositions avancées qui se sont limitées, dans la plupart du temps, à des principes généraux et des recommandations de faire ou de ne pas faire. Ainsi, on a constaté que les propositions avancées réclament des mesures d'ordre général de manière à alléger la charge fiscale, encourager l'investissement, lutter contre l'évasion et le secteur parallèle, ne pas recourir à l'endettement, etc. Présenté par le gouvernement de Youssef Chahed, investi en août, ce projet de loi de finances vise, notamment et en théorie, à relancer la croissance en berne et à réduire le déficit budgétaire. Ce qui passe, selon le pouvoir, par le gel des salaires des fonctionnaires et une hausse des taxes sur les entreprises, provoquant la colère à la fois de la Centrale patronale tunisien (UTICA) et de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Le gel des salaires pendant trois ans est une mesure inacceptable par l'UGTT qui appelle le gouvernement à chercher l'argent ailleurs et à ne pas faire supporter aux travailleurs, seuls, le poids des sacrifices à consentir. En effet, dénonçant un manque de concertation et de considération, l'UGTT a rejeté de manière «catégorique » le gel des salaires dans la fonction publique. Et pour y faire face, la puissante centrale syndicale avait appelé dès le 17 octobre «tous les travailleurs dans tous les secteurs à se mobiliser pour défendre leurs droits et empêcher qu'on leur fasse porter les échecs des politiques suivies». De son côté, l'UTICA a fait savoir que l'augmentation de la taxe exceptionnelle sur les entreprises de 7,5%, prévue par le projet de loi de finances 2017 est un pourcentage élevé et aura une incidence sur la compétitivité des entreprises et sur l'effort national pour stimuler l'investissement. Il est donc nécessaire de chercher d'autres solutions pour faire face aux difficultés économiques et financières rencontrées par la Tunisie ». Or, maintenant que le tollé se précise et se confirme face au projet de Loi de finances, l'Etat se trouve, selon les experts économiques, devant un dilemme à la limite du soluble dans le sens où les divers scénarios probables sont aussi douloureux les uns que les autres. Le premier scénario, est que le gouvernement maintient le projet de Loi de finances tel qu'il est, avec la possibilité d'un ou de deux amendements mineurs, et tente un passage en force à l'ARP où il est presque certain d'aboutir à l'adoption par la séance plénière. Et dans ce cas, le risque est réel de provoquer une crise sociale majeure, voire un soulèvement populaire aux conséquences aussi imprévisibles que dramatiques. En effet, la Centrale syndicale verrait d'un très mauvais œil une pareille attitude du pouvoir en place et ne resterait pas les bras croisés sachant qu'elle fait miroiter, déjà, le recours à une mobilisation totale pouvant mener à la grève générale. De leurs côté, les entreprises affiliées à l'UTICA pourraient réagir et observer une sorte de « rébellion », en l'occurrence de « désobéissance fiscale » pouvant conduire jusqu'à la mise de la clef sous le paillasson. Quant aux professions libérales, enhardies par les positions des deux principales organisations nationales, syndicale et patronale, pourraient endurcir leur attitude de refus des dispositions contenus dans le projet de loi de fiances, ce qui risque de créer des situations intenables et insoupçonnées. Et d'un... Le deuxième scénario est que le gouvernement retire ledit projet, ce qui est constitutionnellement impossible, ou plus faisable, procède à l'introduction de profondes modifications, ce qui revient à un aveu d'échec pouvant entraîner, à plus ou moins brève échéance, la chute du gouvernement qui aurait, ainsi, prouvé son incapacité à gérer la situation dès le premier examen sérieux. Et dans ce cas, les conséquences sont graves dans la mesure où cela peut conduire au recours à la chute du gouvernement et à des élections législatives, voire présidentielles, anticipées avec tout le lot négatif d'instabilité et de perturbations sociales et politiques. Quant au troisième scénario – le plus sage d'après les experts – il consiste à revenir à a la table des négociations avec une proposition appelant à une sorte de sursis d'une année que devraient accorder les divers protagonistes au gouvernement pour appliquer ses dispositions, avec la promesse de tenir les précédents engagements en se basant sur les éventuels résultats positifs obtenus grâce et à l'issue de ce sursis. Reste que d'autres voix s'élèvent appelant à un retour au dialogue entre les signataires de l'Accord de Carthage sous l'égide de la présidence de la République afin d'aboutir à un consensus comme on y a eu, toujours, recours depuis l'avènement de la Révolution. En attendant, c'est l'impasse qui prévaut. Elle est due à l'intransigeance des différents acteurs socioéconomique et, aussi et surtout, à l'absence des formations politiques occupées, plutôt, par les conflits internes donnant l'impression que l'intérêt national demeure comme étant le dernier de leurs soucis. En tout état de cause, personne ne peut envier Youssef Chahed et son gouvernement dit d'union nationale pour l'engrenage dans lequel ils se trouvent à peine arrivés au Palais de La Kasbah car dans un mois, il doit faire voter, d'une manière ou d'une autre, cette fameuse Loi de finances 2017. Mais comment ? C'est la grande énigme !...