• Production Cinétéléfilms • Avec Amine Nasra, Nour Zitouni, Hélène Katzaras, et Chekra Rammeh Extérieur nuit : une large route défile à grande vitesse sous les lumières ocres et jaunes des réverbères, on entend le roulement rapide des pneus d'une voiture sur l'asphalte, la porte tournante des urgences d'une clinique tournoie rapidement puis s'arrête. La symbolique est claire et pertinente, le ton est donné, une atmosphère s'installe. Flash-back: les scènes d'une fête d'adieu se télescopent. Farès (Amine Nasra) doit partir à l'étranger pour poursuivre ses études en France, Skander, (Nour Zitouni), son meilleur ami, lui fait tendrement ses adieux et quitte les lieux. Retour sur la route, quasi menaçante: un crissement de preus et un plan serré sur la portière d'une voiture dont on a perdu le contrôle. La portière s'ouvre : gros plan sur un bras ballant marqué par une blessure. C'est un accident de la route. Plan sur la porte des urgences qui s'arrête de tournoyer. Le temps se fige. Dans la chambre 203, Skander a sombré dans le coma. L'heure ne tourne plus si l'on croit cette montre murale dépourvue d'aiguilles… La réalité s'estompe… Commence alors, un voyage au bout du subconscient où se mêlent réalité et imaginaire. C'est là, la fable de A ma place (Moftarak), de Mehdi Barsaoui d'après un scénario coécrit avec Nadia Attia et produit par Cinétéléfilms. Ce qui saute au yeux dans ce premier court-métrage d'une durée de 16mn, c'est justement l'utilisation heureuse du langage cinématographique à travers l'image et la lumière, pour le moins maîtrisées, le jeu sobre, la musique délicate, les silences éloquents et le rythme particulier etc. Normalement, rien d'étonnant de la part d'un réalisateur diplômé de l'Isamm (Institut supérieur de l'audiovisuel et des multimédias) et de l'Institut Dams de Bologne (discipline des arts de la musique et du spectacle), mais c'est si rare dans notre cinéma, cette économie judicieuse des dialogues qui laisse très peu de place au bavardage inutile et aux redondances tapageuses et superflues. Forcément, quand on a recours à l'image, l'outil premier du 7e art, un style et une atmosphère se dégagent grâce, il faut le dire, au savoir-faire du directeur-photo Hazem Berrebah. Mieux, dans A ma place, les silences éloquents infusent le rythme particulier d'une conscience en sommeil et d'un subconscient en éveil qui continue, malgré tout, à nourrir l'imaginaire du personnage central, Farès, et de le faire fantasmer, si l'on ose dire, sur l'amitié. Car, c'est clair, le propos du film se focalise sur le sentiment noble de l'amitié, une valeur humaine devenue si rare par les temps matérialistes qui courent. Est-on encore capable d'amitié de nos jours? Peut-on faire des sacrifices importants en son nom? Qu'aurait fait mon ami à ma place, d'où le titre du film, dans une telle situation ? Se serait-il comporté avec autant de réciprocité, de générosité, d'affection ? Ce sont là les questionnements que posent le court métrage ? Le film ne tire pas de morale, mais pose des questions dont on aurait pu, d'ailleurs se passer, tant l'image parle d'elle-même et les trouvailles de mise en scène sont éloquentes et déclinent, en toute simplicité, que l'amitié, en fait, c'est la rencontre des âmes et que, plus que le noble sentiment de l'amour, elle suppose toujours une réciprocité. Dans A ma place, on scrute les visages, les sentiments et les émotions, d'où le recours aux gros plans. Mais le plan le plus réjouissant, la clé du film, son moment fort et émouvant, est celui où, en même temps que Farès découvre son état et que l'intrigue, si l'on puis dire, se dévoile à nos yeux, montent le crescendo des notes musicales de Cold water, un morceau de l'Irlandais Damien Rice qui, tel un jet d'eau froide, nous renvoie au coma, à la mort, mais aussi à la purification et au renouveau des matins qui chantent. Hymne au cinéma d'abord et à l'amitié ensuite, A ma place laisse planer l'espoir d'un renouveau de notre cinéma et d'une belle relève. Le film est à voir dans la section panorama des JCC. Il est vrai que la production des courts métrages, sous nos cieux, a gagné en quantité en qualité. En témoignent tous ces petits films qui forcent l'admiration et réussissent à récolter prix et récompenses, un peu partout dans les festivals de par le monde. Voilà qui augure d'un bel avenir et nous réjouit.