En dehors des premiers films tournés dans notre pays, et où on ne voyait que des visages de figurantes dans une touche de couleur locale, bougeant sur le grand écran comme des silhouettes aux contours mal définis, les prémices de l'apprentissage cinématographique sont nées avec Haydée Tamzali, première actrice tunisienne dans Zohra en 1922 et puis Aïn El Ghzal en 1924. Autour du mariage forcé, ce film de fiction présentait déjà une image de la femme qui ne cède ni au langage de la soumission ni au statut de victime. Ce film, interprété par une femme qui ne se voile pas devant la caméra, à l'époque où elle n'avait pas de place sur un strapontin, a annoncé le début d'un mouvement qui fera de la Tunisie un cas à part dans le monde arabe et musulman. Effectivement, l'image de la femme qui prend son destin en main devient d'ailleurs le cheval de bataille du mouvement féministe tunisien. C'est ainsi qu'a été publié en 1930 le livre Notre femme dans la loi et la société, par Tahar Haddad, et qu'a été promulgué le Code du statut personnel à l'aube de l'Indépendance. Toutefois, sur la liste des films réalisés entre 1956 et 1970, publiée dans un rapport bilan sur le cinéma tunisien rédigé par Tahar Chériaâ, aucun nom de femmes réalisatrices n'apparaît, à part quelques techniciennes dans des postes considérés à l'époque comme marginaux : maquillage, costumes, script, coiffure. Les choses changent dans les années 70, avec le retour de certaines étudiantes d'écoles de cinéma européennes : Kalthoum Bornaz, Moufida Tlatli, Selma Baccar et Kahena Attia. Cependant, le passage à la réalisation, pour cette première génération de femmes, ne fut pas immédiat. La majorité, sinon toutes, avaient entamé leur carrière cinématographique par le montage avant de réaliser plus tard des œuvres à travers lesquelles elles forgeront ensuite leur réputation à l'échelle nationale et internationale. De véritables expertes dans l'art du montage, plusieurs d'entre elles avaient assuré le succès d'un certain nombre de films réalisés par des hommes. Il s'agit notamment de Kalthoum Bornaz, la première technicienne professionnelle à avoir occupé un poste à la réalisation, en devenant, en 1973, la première assistante réalisatrice sur le film de Abdellatif Ben Ammar Sejnane. Kalthoum Bornaz a également participé au montage de plusieurs longs métrages de réalisateurs de renommée, tels que Les aventuriers de l'arche perdue de Georges Lucas en 1980 et Pirates de Roman Polanski en 1985. Décrochant son diplôme de monteuse à l'IDHEC de Paris, Moufida Tlatli a, quant à elle, assuré le montage d'un grand nombre de films de la «nouvelle vague» du cinéma arabe, pour ne citer que Omar Gatlatou de l'Algérien Merzak Alouach, grande révélation à Cannes en 1977, et Halfaouine de Férid Boughdir, avant de réaliser elle-même Les silences du palais, révélation de 1994, remportant un double succès à l'échelle nationale et internationale. Ce n'est qu'après les documentaires et dramatiques télévisés, notamment de Fatma Skandrani, et les courts métrages ethnographiques de Sophie Ferchiou, que la réalisation des longs métrages voit le jour avec Nejia Ben Mabrouk, qui signe dans La trace, en 1978, le premier véritable long métrage de fiction. A cette époque, la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs devient une véritable pépinière où plusieurs femmes font leur apprentissage cinématographique, dont Selma Baccar qui signe dans Fatma 75 son premier moyen métrage. Ce n'est qu'à la fin des années 90 que des longs métrages réalisés par des femmes voient le jour : Les Silences du palais (1994) et la Saison des hommes (2000) de Moufida Tlatli, La danse du feu (1995) et Fleur d'oubli (2006) de Selma Baccar, Keswa ou Le fil perdu (1998) et L'autre moitié du ciel de Kalthoum Bornaz (2008). Bien que la condition de la femme soit une thématique centrale dans leurs œuvres, leurs regards, leurs choix esthétiques et leurs démarches artistiques sont aussi diverses que variées. Révélant un talent certain et une aptitude à se mettre derrière la caméra, une nouvelle génération a émergé avec des jeunes, comme Nadia El Fani et Raja Amari. Avec Satin rouge en 2002 et Les secrets en 2009, Raja Amari se fait remarquer au club des réalisatrices tunisiennes à l'échelle nationale et internationale. Et si cinéma et point de vue cinématographique ont été intimement liés, il n'en demeure pas moins que ces films sont annonciateurs des réussites futures des femmes du septième art, où les thèmes relatifs à la condition féminine n'en constituent pas forcément le sujet central. L'expérience de Nadia El Fani dans son thriller Bedwin Hacker (2002) et son long métrage documentaire Ouled Lénine en 2007 apportent la preuve que le cinéma fait par des femmes n'est pas synonyme de cinéma féministe. Bien que leur arrivée au cinéma en tant que réalisatrices de longs métrages soit relativement tardive, les cinéastes tunisiennes ont réussi à décrocher les plus prestigieuses consécrations sur la scène cinématographique, partout dans le monde.