On y est : ce soir, à Moscou, l'Angleterre disputera bien la troisième demi-finale de Coupe du monde de son histoire. Le résultat d'un travail énorme concocté pendant un peu moins de deux ans par un Gareth Southgate qui aura réussi un exploit: faire renaître les Three Lions de leurs cendres Wembley, Londres. Une nuit de misère : quatre-vingt-quinze minutes de possession stérile, une victoire qui se débloque au bout d'un dernier centre de Kyle Walker coupé par Harry Kane, une longue agonie. Au bout de la nuit, une voix glisse quand même à la foule l'essentiel : « We are off to Russia. » Avec des idées, mais sans certitude, l'Angleterre vient de valider sa participation à la Coupe du monde après un succès bourré de taches contre la Slovénie (1-0). Le public s'emmerde et ne se cache pas pour le faire savoir, lui qui aura passé la majorité de la rencontre à balancer des avions en papier des tribunes vers la pelouse avec l'espoir de voir le planeur atterrir dans le but de Joe Hart. Forcément, un type y est arrivé, provoquant au passage un délire absolu. Et ce n'est rien. Un mois plus tôt, les Three Lions sont à Malte. Soir triste, stade triste, match triste. 3700 supporters anglais ont fait le déplacement à Ta' Qali et craquent à plusieurs reprises des « we're fucking shit » qu'il n'est même pas nécessaire de traduire. La raison ? Un nouveau match difficile à lire, face à une nation rangée à la 190e place du classement Fifa et qui prend finalement un peu de largeur grâce à trois buts claqués dans les sept dernières minutes (0-4). Peu importe, les Anglais doutent sévèrement du projet de Southgate, regardé de travers lorsqu'il ne cesse d'affirmer que ses joueurs ont un potentiel collectif monstre, et touchent là le pic de leur col de frustration. Nous sommes à l'automne 2017. Les larmes de joie de Chris Waddle Samara, Russie. Gareth Southgate, dans la surface de réparation dessinée sur le gazon de la Samara Arena, place ses mains derrière les oreilles et agite sans se cacher son allure de prof d'histoire. Tout y est : le sourire, la chemise ciel, la cravate club marine, le waistcoat. Voilà le sélectionneur de l'Angleterre détenteur de sa propre chanson et obligé de recueillir les larmes de joie de Chris Waddle, qui sait très bien d'où revient ce pays avec son foot de sélection : d'une certaine idée de l'enfer, simplement. L'Angleterre vient d'écarter la Suède et de sauter la tête la première dans sa première demi-finale depuis vingt-huit ans. C'était en Italie, face à la RFA, et ça s'était terminé aux tirs au but, on le sait. Les fautifs de l'époque ? Stuart Pearce et Waddle, ben ouais, entretenant sur leur passage la longue histoire d'une nation criblée de traumatismes. Nous sommes le 9 juillet 2018 et Southgate tient son premier succès majeur : après la victoire face aux Suédois, il a alors tout de suite évoqué, sans totalement réaliser, sa fierté de marcher sur les traces d'Alf Ramsey et Bobby Robson tout en affirmant qu'on assiste bien à « la naissance d'une équipe » . Un groupe qu'il a retapé de ses mains et modelé à l'image de la nouvelle Angleterre. Au point que le dresseur des Three Lions en est sûr : « Nous avons une chance d'affecter d'autres choses qui sont encore plus grandes. » C'était le message il y a plusieurs mois, livré dans une interview à ITV, mais tout ça est plus que jamais d'actualité.