Par Afif CHELBI * Le Conseil d'Analyses Economiques (CAE) a présenté au Chef du Gouvernement et publié dernièrement un recueil de dix Notes de Propositions CAE pour la relance économique, élaboré au cours du premier semestre 2018. A travers ce recueil, le CAE recommande une cinquantaine de propositions pour une relance à 2 dimensions : Croissance et Emploi / Inclusion Sociale et Régionale. Ces propositions sont réparties sur les dix thèmes suivants : Levée des entraves : pour l'amélioration du climat des affaires Loi sur l'investissement : la mise en œuvre marque le pas Moratoire fiscal et alignement vers le bas du taux de l'impôt sur les sociétés off-shore et on-shore Entrepreunariat : Maison de l'entreprise, promotion du Micro crédit et du Capital Investissement Financement de la PME : Bonification d'intérêt et ratio d'activités prioritaires Dix pôles urbains régionaux : pour un changement du paradigme du développement régional Réforme du système de protection sociale: les urgences Politique monétaire : Des quick wins réglementaires pour soutenir la parité du dinar Tunisie Digitale : faire de l'engouement mondial pour le numérique une opportunité Plan solaire tunisien : pacte énergies renouvelables et relance de la maîtrise de l'énergie Parmi ces propositions une dizaine de mesures concernent la prochaine loi de finances. Dans ce cadre, il y a une impérieuse nécessité que la loi de finances 2019 soit une loi basée de relance, car s'il y a certes un début de reprise au 1er semestre 2018, celle-ci demeure cependant fragile pour les raisons que nous expliciterons ci-après. En effet, le premier semestre 2018 a enregistré une forte croissance des exportations ce qui dénote une certaine résilience des entreprises tunisiennes à l'export, car malgré toutes les entraves rencontrées, elles exporteront quand même près de 40 milliards de dinars en 2018. Néanmoins, cela ne doit pas occulter les lacunes constatées et les blocages rencontrés qui font que cette résilience des entreprises baisse d'année en année du fait de trois facteurs en particulier : - Un taux d'investissement très bas (18 % contre 25 % il y a dix ans), ce qui explique par exemple la stagnation du secteur des industries mécaniques et électriques. - Une ouverture non maîtrisée des importations dopant l'économie parallèle. - La quasi-suppression des incitations aux secteurs productifs en vertu de la loi de 2016 sur l'investissement. Ces trois facteurs font qu'aujourd'hui un véritable danger de désindustrialisation menace la Tunisie. Quelques chiffres traduisent cette détérioration du système productif tunisien : depuis 7 ans, de 2011 à 2017, nos exportations vers l'UE stagnent autour de 9 Milliards d'euros, avec une certaine reprise au 1er semestre 2018, tandis que le Maroc passait de 7 à 15 Milliards d'euros. Exportations vers L'UE(en milliards d'euros) 2010 % import UE 2017 % import UE Tunisie 8 ,6 0,6 % 9,4 0,5 % Maroc 7 ,1 0,5 % 15,1 0,8 % Source Eurostat D'où le recul incroyable de la Tunisie dans les classements internationaux de compétitivité tel celui de Davos dans lequel, notre pays classé 95ème sur 140 pays en 2017, alors qu'il était classé 32ème en 2011, enregistre un recul inédit de 60 places. Pérenniser et « booster » ce début de reprise constaté et pallier ces graves lacunes constituent le principal objectif de tout plan de relance. Or pérenniser et booster la relance ne se fera pas par le simple jeu des forces du marché. Cela nécessitera un choc de confiance résultant de la mise en œuvre, par un Etat développementaliste, de politiques volontaristes, en synergie avec le secteur privé, car «la croissance n'est pas un phénomène météorologique ». La loi de finances est un des principaux instruments de politique économique idoine à cet effet. Enfin, il est à noter que la politique économique sur laquelle repose ce plan de relance comporte, outre des mesures horizontales, fiscales et non fiscales, un grand nombre d'instruments fins, sectoriels et spécifiques. Il est proposé que ces instruments soient consignés dans des pactes de compétitivité à établir entre l'Etat et le secteur privé. Ci-après les dix mesures proposées par le Conseil d'Analyses Economiques pour une loi de finances 2019 de relance, dans le but de produire un véritable choc de confiance et une forte discrimination positive en faveur des secteurs productifs: Annoncer un moratoire fiscal sur les impôts et taxes sur les entreprises et instaurer un taux d'imposition de 10 % sur les secteurs productifs, on shore et offshore, tels que définis par la loi sur l'investissement (industries et services connexes)et suppression de l'impôt sur les dividendes pour l'offshore. Rétablir le dégrèvement fiscal physique pour les investisseurs dans les activités industrielles et touristiques et pour les FCPR non captives de groupes et investissant dans les startup. Instaurer une bonification d'intérêt pour les crédits PME (2 points de bonification d'intérêt sur une ligne de 1000 MD sur 5 ans non budgétaire (par mobilisation de lignes bailleurs de fonds). Le coût budgétaire est de l'ordre 20 MD par an sur 5 ans) et Instaurer un Ratio d'Activités Prioritaires relatif au financement des PME par les banques. Activer et donner de l'envergure à la ligne de restructuration financière des PME en l'intégrant dans la ligne PME ci-dessus et en révisant son mode de gouvernance. Adopter un nouveau mécanisme de financement pour les jeunes promoteurs en s'inspirant de la formule initiale du FOPRODI. Pallier les graves lacunes de la nouvelle loi de l'investissement en révisant certaines de ses dispositions et son mode de gouvernance afin de lever les entraves que rencontrent les investisseurs et à assurer une remontée rapide et impérative de la Tunisie dans les classements internationaux (Davos, Doing Business) dans lesquels notre pays a connu un recul inédit. Revoir la question de l'instauration de la TVA sur la vente des logements en instaurant une TVA et un droit d'enregistrement au droit fixe (100 D pour les logements vendus à l'état neuf et un droit d'enregistrement sur les logements anciens. Lancer la Banque des régions, soit dans le cadre de la loi des finances soit par une loi spécifique. Supprimer les hausses des taxes sur les containers, sur les équipements TIC, les équipements énergies renouvelables décidées par la loi de finances 2018. Engager les mesures sectorielles prévues dans les pactes de compétitivité entre les pouvoirs publics et les principaux secteurs productifs.Dans ce cadre, l'Etat s'engage sur la mise en œuvre de mesures spécifiques aux secteurs concernés. En contrepartie, le secteur privé s'engage sur la concrétisation des objectifs d'investissement, d'exportation et de création d'emplois. Le coût de ces mesures de relance est réduit, il a été estimé à environ 500 millions de dinars, tout à fait compatible avec les contraintes budgétaires, pour un budget de l'ordre de 40 milliards de dinars. Sachant que ces coûts peuvent être en grande partie compensés par les effets induits de ces mesures en termes de croissance et de réduction de l'informel. Mais l'enjeu est loin d'être budgétaire, il concerne le signal fort adressé aux opérateurs économiques, car ce qui se joue aujourd'hui c'est la sauvegarde et le développement de notre système productif. Une loi de finances qui ne s'appuierait pas sur les principes de relance avancés ouvrirait la voie vers la sortie de la Tunisie du monde de la production et de la création de valeur vers celui d'un acteur passif dans la division internationale du travail, simple importateur et consommateur. Par contre, une loi de finances 2019 basée sur la relance œuvrera à la préservation et au développement de la principale richesse de la Tunisie, à savoir l'existence de milliers d'entreprises productives de niveau international et des centaines de milliers de compétences qu'elles recèlent. J'appelle donc à une loi de finances 2019 à la hauteur de ces enjeux de la Tunisie d'aujourd'hui. Composition du Conseil d'analyses économiques : Chelbi Afif, Zine Tarek, ARBI Hédi, BAGHDADI Leila, BEN-GACEM Hazem, BEN MOSBAH Ridha, Boujneh Zribi Lamia,CHERIF Mounir,El Khadi Zouhair, HADDAR Mohamed, JOUINI Elyes, KOLSI Rym,LABIDI Moez, MBAREK Aziz, NACCACHE Sonia, OUALI Badreddine, SAIDANE Dhafer, TABBOURI Houssem, ZAGHOUANI Doreid, ZAOUI Sami, ZEKRI Noureddine