Leur prédisposition à mourir prête à l'étonnement. Les rescapés de la mort ou ceux ayant échappé au contrôle des gardes-côtes ne lâchent jamais prise. Ils récidivent, ils refont la même traversée de tous les dangers. Enclins à l'espoir, ils s'en tiennent à chercher ailleurs ce qu'ils n'ont pas trouvé ici: changer leur vécu et trouver, tout simplement, un emploi décent Il ne se passe pas un jour, ou presque, sans qu'un nouveau drame maritime ne tombe comme un couperet, et dont les victimes ne sont autres que des jeunes migrants qui ont péri sur nos côtes ou portés disparus sur l'autre rive de la Méditerranée. Leur rêve d'une vie meilleure, loin de la misère a fini par céder au chant des sirènes. Et combien de fois a-t-on assisté à des naufrages en haute mer, regrettant ainsi un bilan funeste? Et les chiffres du Ftdes sont là, faisant état d'un constat alarmant : 1.600 victimes dont des Tunisiens, de janvier 2018 jusqu'au mois écoulé, et plus de 6.300 tentatives d'émigration clandestine déjouées. N'empêche, quelque 3.800 tunisiens ont réussi, au cours de la même période de l'année, à rejoindre l'Italie. Nos frontières sont-elles devenues poreuses, de sorte qu'on puisse les franchir sans coup férir ? La Tunisie, avec 1300 km de littoral, s'érige-t-elle en vaste couloir d'émigration clandestine, où ce trafic des personnes a bel et bien le vent en poupe ? Aussi, les passeurs font-ils la loi ? Le problème est-il sécuritaire, politique, socioéconomique ou les trois à la fois? Le phénomène semble beaucoup plus complexe qu'on le croit. Sa résistance à toute forme de surveillance est telle qu'on ne peut plus gérer un tel flux migratoire. D'autant plus qu'on n'arrive guère à comprendre ce que demandent nos jeunes et pourquoi ils en sont arrivés là. Leur défiance les a poussés à prendre le large, à leurs risques et périls. Leur prédisposition à mourir prête à l'étonnement. Pris au dépourvu, les rescapés de la mort ou ceux ayant échappé au contrôle de nos gardes-côtes n'ont jamais lâché prise. Ils récidivent, ils refont la même traversée de tous les dangers. Enclins à l'espoir, ils s'en tiennent à chercher ailleurs ce qu'ils n'ont pas trouvé ici: changer leur vécu et trouver, tout simplement, un emploi décent. Des ambitions légitimes qui auraient pu être facilement réalisées sous nos cieux. Mais, la crise de confiance en l'Etat et en ses institutions a fait sentir la déception. D'ailleurs, plus de 70% de Tunisiens ne voient pas le bout du tunnel. Quelle jeunesse, quel avenir ? L'on entend toujours parler des patrouilles maritimes, d'embarcations prises à court, d'opérations de secours et de sauvetage, sans jamais prétendre agir en connaissance de cause. Et les mêmes drames se reproduisent, dans une passivité pour le moins qu'on puisse dire théâtrale et inconcevable. Aucun gouvernement n'a également bougé le petit doigt. L'on est en droit de remettre sur le tapis cette question multiforme, afin d'y apporter une solution globale, tenant compte du contexte national et des principaux besoins de nos jeunes. Et le message vidéo adressé par le président de la République Beji Caïd Essebsi, au sommet 2018 du Forum Moyen Orient-Méditerranée, tenu les 25 et 26 août dernier à Lugano en Suisse, semblait porter, en lui-même, une réponse à la question. « La jeunesse, c'est le réservoir de l'élite et si notre pays, notre région a un avenir, ce sont bien les jeunes qui vont le bâtir.. », s'est-il, ainsi, targué de faire valoir leur place dans la société. Et Caïd Essebsi de renchérir, soulignant l'intérêt qu'il y a de préparer, dès maintenant, nos jeunes aux responsabilités qui les attendent. Il a fini, dans son message qualifié de significatif, par toucher le fond du problème : « Il faut que les jeunes aient confiance en leur pays ». Cette confiance, c'est bien le mot d'ordre qui fait malheureusement défaut. Parlons-en ainsi, cette jeunesse serait le dépositaire de l'avenir du pays. Avec tout ce que cela exige de lui épargner la peine de fuite sans retour, en lui balisant la voie de l'édification et du compter-sur-soi. Mais, ce n'est qu'une demi-solution, pour ainsi dire. Car, le président de la république semble avoir oublié les recommandations du fameux congrès du dialogue avec les jeunes dont il fut l'initiateur, avec pour objectif de mettre en place une stratégie intégrée de la jeunesse tunisienne à l'horizon 2030. Le souci déclaré de la ministre de tutelle, Mme Majdouline Cherni, était l'emploi en priorité. Deux ans déjà, on ne voit rien venir. Le statu quo persiste ! Paradoxalement, la situation a empiré de plus en plus : structures de la jeunesse mal en point, taux élevé du chômage stationnaire (à plus de 15%), abandon scolaire à raison de 100 mille élèves chaque année, délinquance juvénile aggravée de violence, de criminalité et de consommation de drogue.. Autant dire, nos jeunes se sont montrés à bout de souffle, les horizons étant devant eux encore flous. Le même discours européen ! Que signifie, donc, un tel avenir s'ils voient leur présent condamné ? Et comment peut-on reconquérir leur confiance perdue ? Du reste, la migration clandestine ne peut, en aucun cas, être une fin en soi. C'est, plutôt pour eux, un passage obligé censé leur redonner satisfaction. Un semblant de raccourci qui les conduit à des ambitions dont ils se sentent longtemps privés. C'est pourquoi ces jeunes désœuvrés et complètement livrés à eux-mêmes voient dans la migration une solution. Ce qui n'est pas évident. A preuve, combien de Tunisiens sont, jusqu'ici coincés à l'étranger, dans des centres italiens de concentration? Et bien d'autres dont on ne connaît plus le sort, depuis 2011. L'Europe n'est pas l'Eldorado, d'autant plus que la droite extrémiste s'y est toujours proclamée raciste et ostentatoirement hostile aux questions migratoires. L'Union européenne semble, elle aussi, jouer le tour, ménageant la chèvre et le chou. On a l'impression qu'elle préfère, souvent, la politique de laisser mourir à celle d'ouverture et de bon voisinage. Elle veut que l'on soit à sa merci, ses gardes-côtes tout simplement. Avec en contrepartie un simulacre d'appui au développement. Où est passé le milliard d'euros promis, en guise d'aides, aux pays du Maghreb dont la Tunisie ? Qu'en est-il de l'accord bilatéral tuniso-italien visant à organiser la question migratoire de manière à répondre aux besoins du marché de l'emploi en Italie ? Rien n'y fait, depuis des années. Pas de solutions toutes faites On n'importe guère les solutions toutes faites. Il faut y penser localement. Dans une interview accordée à Sky TG 24, en août dernier, le ministre de la Défense, M. Abdelkrim Zbidi, a pointé du doigt l'insuffisance du cadre juridique relatif à la migration et la non-application de la loi en vigueur sur cette question. L'homme n'a pas manqué d'insister sur la nécessité de combler le vide juridique et de changer les lois non conformes aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie. A ce sujet, la société civile nationale a toujours milité pour une panacée, traitant le phénomène suivant une approche globale. Cela dit, une conjugaison de tous les efforts, à même de mobiliser tous les moyens susceptibles de faire de nos jeunes la finalité de toute œuvre du développement intégral. Les rendre un vrai dépositaire de l'avenir. C'est ainsi que le message du président tire sa juste valeur. Autrement, ce n'est que de la poudre aux yeux.