L'huile végétale est introuvable, le sucre en vrac aussi. Quant au lait, n'en parlons plus. En somme, c'est le consommateur qui est pris entre deux feux. Le premier est celui des intervenants immédiats, à l'instar des industriels et des agriculteurs (impulsés par leur corporation: l'Utap). Le second feu n'est autre que celui de la spéculation. Plus aucun domaine n'échappe aujourd'hui à la spéculation. Cette activité s'est tellement développée ces cinq ou six dernières années qu'elle constitue une véritable menace à la stabilité économique et sociale. Les nouveaux barons de la contrebande et des différents trafics se sont infiltrés dans les rouages de l'administration et ont mis en place des lobbies puissants contre lesquels l'Etat est de plus en plus impuissant. Actuellement, nos lois sont molles et, donc, incapables de lutter, de façon efficace, contre le fléau. Pénuries artificielles La crise constatée au niveau de la commercialisation du lait, en fin de compte, n'est qu'une crise artificielle. Notre pays est un pays producteur de lait. La production est, même, excédentaire depuis des années. On s'étonne, qu'aujourd'hui, le consommateur en soit réduit à mendier ce produit auprès des épiciers et des grandes surfaces. La découverte de stocks de lait destinés à être écoulés illicitement dans des circuits parallèles en dit long sur les magouilles qui existent derrière. Il y a, certes, une pression exercée par certaines parties, notamment les industriels qui veulent l'augmentation du prix du lait subventionné. Ces pénuries artificielles ne sont, en fait, que le moyen le plus direct d'arriver à leurs fins. Mettre la pression sur les autorités en créant une situation contrariante pour le consommateur est la stratégie adoptée par ceux qui cherchent à imposer la libéralisation des prix du lait. Pour le moment, l'Etat s'en tient à la compensation de ce produit car il est conscient que c'est une matière de base indispensable à tout le monde. En y touchant, les spéculateurs se livrent à un jeu dangereux auquel il faudrait mettre fin en appliquant la loi de la façon la plus rigoureuse qui soit. Si nécessaire, il y aurait lieu de réactualiser la réglementation en vigueur pour faire face à l'émergence de ces pratiques qui portent préjudice aux citoyens et à l'économie nationale. Car, actuellement, le Tunisien est pris en otage. Il est à la merci des lobbies qui l'utilisent comme monnaie d'échange pour réaliser leurs desseins sans prendre en compte les intérêts du pays. Les industriels et la corporation syndicale des agriculteurs doivent prendre conscience de leurs responsabilités vis-à-vis des Tunisiens. Ces derniers sont acculés à acheter des berlingots au prix fort. Grâce à cette pénurie créée de toute pièce, les producteurs parviennent à se délester de grandes quantités de lait dont les prix sont inabordables. Les épiciers, comme à leur habitude, conditionnent la vente ou ne vendent qu'à leurs clients les plus fidèles. Dans les grandes surfaces, on assiste, quotidiennement, à une foule de gens qui se ruent sur des quantités limitées de paquets. Chacun est obligé d'acheter deux berlingots. Pas plus. En quelques minutes, le stock est épuisé et il faudra revenir le lendemain. Des fois, on fait languir les clients. L'approvisionnement ne se fait pas de bon matin, ce qui oblige les gens à attendre à l'intérieur du magasin. Ce qui est une occasion pour faire quelques emplettes qui ne figuraient pas au programme. Des dépenses inutiles pour le Tunisien et des bénéfices supplémentaires pour les grandes surfaces. C'est ainsi que le lait est devenu un appât ! Devant les caisses il faut payer en chiffres ronds : c'est-à-dire 2.250 millimes les deux berlingots au lieu de 2.240. L'Etat est devenu une vache à lait Devant cette crise, l'Utap s'offre le luxe de s'opposer à ce que l'Etat importe des quantités de lait pour réguler le marché. Il semble que ce qui arrange le simple citoyen n'arrange pas l'équipe qui croit défendre les intérêts des agriculteurs. Comment se fait-il que malgré la dépréciation du dinar, on parvient à vendre le lait importé de Belgique au même prix que celui du lait local. C'est, encore, une preuve que cette pénurie est voulue pour mettre tout le monde devant le fait accompli. Pourtant, on aurait bien aimé voir l'Utap et les autres opérateurs industriels adopter une position plus conciliante et plus responsable qui prenne en considération la situation économique du pays et la situation sociale des différentes couches du peuple. N'est-il pas étonnant de voir cette avalanche d'exigences prônées par les instances de cette Union ? Après les demandes d'amnistie sur les prêts contractés par les agriculteurs, on assiste à d'autres demandes concernant les dédommagements des dégâts causés par les intempéries, la création d'une caisse pour les sinistres, etc. L'attitude exclusivement revendicative n'existait pas chez l'ancienne union des agriculteurs. Ceux qui connaissent l'histoire de cette organisation et son passé glorieux savent, pertinemment, qu'elle a été, toujours, du côté des classes sociales les plus défavorisées. Si, aujourd'hui, le vent a tourné, c'est que les orientations ne sont plus les mêmes. Rappelons, par ailleurs, que la plupart des agriculteurs ne payent pas d'impôts puisqu'ils se livrent à un travail indépendant sur leurs propres domaines. En principe, le simple citoyen serait en droit de dire : comme ils ne payent rien à l'Etat, l'Etat ne leur doit rien. Et puis, si le créneau de l'agriculture ne plaît pas à certains et qu'il ne rapporte rien à ceux qui l'exercent, comme l'affirment de nombreux «représentants» des agriculteurs, pourquoi ne pas lâcher et laisser la place à ceux qui ont de l'endurance et de la volonté. Car, il ne faudrait pas que l'Etat se transforme en vache à lait pour subvenir indéfiniment aux besoins des agriculteurs qui se proclament à l'envi comme des sinistrés dès qu'ils sont touchés par des perturbations naturelles.