Ayant été seule représentante des agriculteurs et des pêcheurs, l'Utap n'a plus depuis deux ans le monopole de la représentation de l'activité. Avec la naissance du syndicat des agriculteurs, le paysage devra en principe changer positivement. L'Utap, depuis l'Indépendance, s'est identifiée en partie au pouvoir et était un de ses satellites. Il semblerait, d'après une bonne frange des exploitants, qu'elle ne soit pas totalement libérée de ses vieux démons, en jouant aujourd'hui le jeu du parti dominant de la scène politique. Cela en dépit des démentis de son président. En tout état de cause, cette organisation, qui demeure omnipotente dans le secteur, dans la mesure où son concurrent est de fraîche date, risque dans l'avenir de payer de son existence son arrimage aux pouvoirs quels qu'ils soient. Lors de cette période transitoire, elle est appelée, tout comme le syndicat des agriculteurs, à jouer un rôle avant-gardiste dans le développement d'un secteur qui a fait jusqu'ici les frais de politiques irréalistes et inconséquentes. L'ancienne Union des agriculteurs, dénommée par la suite Utap, s'était toujours alignée sur les choix du pouvoir et n'avait jamais été d'un quelconque apport pour servir une activité aussi stratégique que l'agriculture. Même en matière de revendications, sa voix était presque inaudible. Il faut dire que ses dirigeants à l'échelle locale, régionale et nationale étaient des apparatchiks à part entière dans le parti au pouvoir et ne pouvaient par conséquent dévier de sa ligne. La donne, avec le vent de démocratisation qui souffle sur le pays, a complètement changé. Et il n'y a plus d'excuses pour que les syndicats des agriculteurs ne soient pas des acteurs actifs sur la scène nationale. Plus question pour eux d'accepter le diktat d'une bureaucratie dépassée par les évènements et dont les soucis sont ailleurs. C'est aux représentants de la corporation de se prendre en charge pour redonner à l'activité agricole la place de choix qui lui revient dans l'économie du pays. Mais pour ce faire, il incombe aux agriculteurs eux-mêmes de savoir bien choisir leurs représentants. Probité et compétence sont les deux critères qui doivent présider à ces choix. Avec des femmes et des hommes nouveaux, le rôle jusqu'ici limité aux revendications pourra devenir un élément moteur pour un réel essor agricole qui garantit notre indépendance alimentaire. Une panoplie de propositions et d'initiatives peut être avancée avec toujours des scénarios réalistes tout en étant ambitieux. Des propositions et des initiatives Il y a lieu tout d'abord d'élaborer tout un programme d'encadrement et d'accompagnement surtout des petits et moyens exploitants. Un plan qui viserait une sorte de formation pour les initier aux nouvelles techniques et méthodes d'exploitation. Les faire participer aux rencontres avec le monde agricole des pays avancés, jusqu'ici exclusivité des proches du pouvoir et des techniciens de l'Etat. Des séminaires de sensibilisation peuvent être organisés, selon le type d'activité et les spécificités des différentes régions du pays. Les syndicats des agriculteurs doivent avoir leur mot à dire en matière de planification agricole sectorielle. C'est à eux d'évaluer les besoins réels du pays en tels ou tels produits, en coordination avec les services compétents des différents départements, ayant rapport avec la production, la consommation et l'écoulement de ces produits. Ainsi on aura régulièrement une production qui cadre avec la consommation pour éviter les pénuries qui grèvent les bourses des ménages et les surproductions qui mettent en difficulté les producteurs (le cas de la pomme de terre et de la tomate est édifiant, en ce sens que les prix oscillent d'une saison à une autre). Ces mêmes syndicats doivent impérativement batailler pour mettre en place une véritable politique de stockage de certains produits tels que les fourrages pour faire face aux années de sécheresse, lutter contre la spéculation en la matière et donner les moyens aux éleveurs d'entretenir leur bétail avec des prix raisonnables qui se répercutent par ricochet sur ceux de la viande, du lait et dérivés. Par année de mauvaise pluviométrie, et par manque de pâturage, une balle de foin peut atteindre 12 dinars au Centre et au Sahel, 15, voire 17 dinars au Sud, alors qu'elle est négociée sur place entre 4 et 5D. Par ailleurs, notre pays se voit contraint, à une certaine période de l'année, d'importer des millions de litres de lait, alors que, pendant la saison de pleine production, des quantités énormes sont souvent déversées dans la nature. Avec une réorganisation du système actuel de collecte et la création de nouvelles unités de stockage et de refroidissement, l'on pourra éviter une hémorragie de devises consécutive à l'importation et redonner de l'espoir aux éleveurs dont plusieurs font faillite et se retrouvent sur la paille. Ce sont là des priorités auxquelles doivent s'atteler les syndicats des agriculteurs pour que ce secteur ne tombe pas entre les mains des rapaces qui sont aux aguets et pour que le cultivateur et l'éleveur vivent dans la dignité.