Par M'hamed JAIBI Le discours musclé de Rached Ghannouchi, devant le groupe parlementaire de son parti, était peut-être destiné à rassurer ses bases ou les plus radicales d'entre elles, mais il n'a nullement rassuré l'opinion publique. C'est à un vocabulaire haineux enrobé de forfanteries qu'a eu recours le leader islamiste, pourtant accoutré dans son nouveau costume de gala destiné à rassurer pour ratisser large. Passons sur l'ego surdimensionné d'Ennahdha qu'il a illustré de par sa qualification comme le «parti fondamental» du pays, et sur les accusations humiliantes lancées aux ministres qui ont quitté le gouvernement. Le gros du discours s'est distingué par une rupture inesthétique par rapport aux propos mielleux de ces quatre dernières années de consensus affiché. S'il s'agit d'un retour au style des années sombres de la clandestinité forcément agressive, on comprendrait et on tirerait les conclusions, mais il semblerait que ce retour mi-figue mi-raisin au discours d'antan viserait à remonter le moral de ses troupes, que les accusations à propos du «groupe sécuritaire» indisposent et inquiètent, autant que la «rupture» d'avec le président de la République et son parti. Peut-on se résoudre à voir Ennahdha revenir aussi prestement à ses vieilles attitudes détestables, alors qu'il se réclame officiellement d'un lifting moderniste de modération républicaine et d'attachement aux valeurs et institutions de la constitution de droit positif, adoptée le 27 janvier 2014? Alors que le lifting Commençait à faire vrai, que le consensus prenait l'allure d'une adhésion sereine au modèle tunisien ancré dans le culte d'un Islam modéré et tolérant ouvert sur le monde, voilà que l'ancien «gourou» nous livre un flash rétro en clair-obscur des plus déstabilisants. Ce jeu dangereux «du bâton et de la carotte» n'est pas à l'honneur du théoricien de «la voie démocratique vers l'islamisme». Car, s'il a réussi, grâce à la révolution populaire, à donner à son ancien projet une allure quelque peu citoyenne, il se doit de persévérer dans ce scénario rassurant qui commençait à convaincre une frange de l'opinion. Le dernier discours risque d'être interprété comme un retour aux sources du tantrisme et de la violence «révolutionnaire», comme un message complaisant adressé aux jihadistes. A quoi sert, dans ces conditions, l'élégante cravate qui cache la forêt ?