Comment expliquer qu'un artiste qui chantait l'amour et des romances populaires se transforme en criminel extrémiste ? Comment en est-il venu à considérer le chant comme péché (Haram) ? Fadhl Chaker, c'est de lui qu'il s'agit, a changé son fusil d'épaule, opérant un revirement à 360°. Depuis, sa vie a basculé dans les profondeurs abyssales de l'obscurantisme. L'ancien chanteur libanais qui faisait chavirer les foules arabes lors de ses passages sur les scènes des festivals grâce à des tubes, tels «Ya Ghayeb», «Wallah Zamen», «Bayaâ el Qouloub», «Qalbi Ayech» et d'autres, a abandonné la scène et le micro pour le champ de bataille et la Kalachnikov. Il s'est, ainsi, retiré définitivement de la vie artistique car, désormais, le chant est « Haram » ou péché, à ses yeux, pour sombrer dans l'idéologie extrémiste du meurtre et de la discorde (Fitna). Dans une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux et des chaînes de télévision, celui qui a perdu son âme d'artiste -ou son âme tout court-, a avoué, il y a quelques jours, d'un air triomphant et avec un aplomb sidérant «qu'il a tué deux soldats et blessé cinq autres». Cela lors d'un siège dans la mosquée d'Abra, les 23 et 24 juin, où seize soldats de l'armée libanaise ont trouvé la mort. Depuis, il a pris la fuite, suite au mandat d'arrêt lancé contre lui. Autres frasques follement furieuses de l'ex-crooner : dans une autre vidéo qu'il a postée lui-même, il a lancé au président de la municipalité de Saida, il y a deux semaines, «Je vais te tuer, espèce de chien, de cochon». Ce qui frappe d'emblée dans ces vidéos, c'est le nouveau look de l'ex-chanteur : le regard haineux est aveuglé par le fanatisme, la barbe et les cheveux (poivre et sel) en bataille, l'accoutrement débraillé, le tout tranchant nettement avec l'ancienne allure soignée et très « in» de la star adulée par des milliers de fans. Finis les paroles mielleuses, les romances, les mélodies, la jubilation, et les nobles sentiments et valeurs que secrète l'art; bonjour la violence, le fanatisme, le chaos, la folie, le meurtre et le désespoir. Perte d'âme, perte d'humanité A preuve sa participation au combat sanglant qui se déroule, actuellement, à Saida entre les Sunnites, menés par leur cheikh salafiste radical Ahmed Al-Assir, et les Chiites du Hezbollah. L'ex- chanteur converti au salafisme, sous l'influence de son gourou Ahmed Al- Assir, n'hésite pas à exhiber son aversion pour les Chiites, qu'il qualifie «d'infidèles et d'assassins des Sunnites syriens» tout en traitant, au passage, Hassan Nasrallah, figure emblématique du Hezbollah, de « Diable ».Fadhl Chaker n'a pas hésité non plus à afficher son soutien aux jihadistes sunnites qui combattent le régime syrien. «Mieux », il a déclaré qu'il a participé au financement de la rébellion par l'envoi de médicaments, nourritures et armes. Et d'ajouter que pour ce, il a vendu les terrains et les biens qu'il a acquis, grâce au chant qu'il juge maintenant «Haram». Après les chaleureux échanges avec ses fans, voici venu le temps des accusations menaçantes contre les Chiites : «Les Chiites nous ont lancé des obus de mortiers, ils ont pénétré par effraction dans ma villa et m'ont dérobé un million de dollars ainsi qu'une grande quantité de bijoux. Et tout cela sous le regard complice des renseignements chiites, je me vengerai et de mes propres mains». Se peut-il qu'après une carrière d'environ deux décennies, un artiste bascule, ainsi, dans l'horreur, le fanatisme et le meurtre au point de perdre ses repères et son humanité ? Se peut-il qu'il brûle aujourd'hui ce qu'il a adoré hier, l'art, avec un grand A, déclarant que «l'art est sale» et que «les artistes ont le cœur noir tant ils sont jaloux les uns des autres» ? Normalement, un artiste se distingue par sa sensibilité, sa tolérance, sa créativité et sa générosité, apportant bonheur et lumière à ses semblables, mais ne dit-on pas que les artistes sont capables du pire comme du meilleur? Justement, voilà Fadhl Chaker qui sombre dans le pire, voire dans le monstrueux et l'irrationnel, surtout que la conjoncture politique dans les pays arabes favorise, aujourd'hui, toutes les folies humaines secrétant l'insoutenable et l'intolérable. Cela au nom de tous les sectarismes religieux, les stratégies et autres manœuvres politiques régionales et planétaires. Qui tire les ficelles de ce chaos «créateur» ? Qui manipule qui ? Qui attise le feu de toutes ces petites guerres ravageuses et destructrices, dissimulant, en fait, une guerre beaucoup plus grande, plutôt mondiale, dont le champ de bataille n'est autre que les pays dudit «Printemps arabe»? L'important n'est pas tant de trouver les réponses à toutes ces questions, là n'est pas notre propos, mais de se poser la question qui s'impose: A qui profite le crime ?