Par Hatem KOTRANE La Tunisie a célébré hier, avec le reste de la communauté internationale, le 29e anniversaire de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations unies, lors de sa 44e session, le 20 novembre 1989, de la Convention des droits de l'enfant. L'occasion de rappeler les avancées accomplies notamment en ce qui concerne la reconnaissance d'une valeur essentielle qui transcende tous les principes et droits reconnus par la convention : la dignité de l'enfant Tout enfant est, en effet, un être humain unique et précieux et, à ce titre, sa voix doit être entendue pour que, en toute hypothèse, sa dignité individuelle, ses besoins particuliers, son intérêt supérieur et sa vie privée soient respectés et protégés. L'objectif est important, car il rappelle que le respect des droits de l'homme commence par la manière dont une société traite les enfants, tous les enfants ! Une société qui se soucie des enfants et des jeunes leur offrira la liberté et la dignité, en créant des conditions qui leur permettent de développer toutes leurs potentialités et d'être prêts à mener une vie d'adulte pleine et satisfaisante. La Tunisie s'est rapidement ralliée à la Convention des droits de l'enfant, aujourd'hui ratifiée par 196 Etats, comme elle s'est ralliée à ses deux premiers Protocoles facultatifs, l'un sur la vente d'enfants, la prostitution d'enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (175 ratifications), l'autre sur l'implication des enfants dans les conflits armés (168 ratifications). De plus, la Tunisie vient de rejoindre les 40 Etats ayant ratifié à ce jour le troisième Protocole facultatif établissant une procédure de présentation des communications, et ce, par la loi fondamentale n° 2018-18 du 6 juin 2018, donnant ainsi un nouvel essor à son engagements en ce domaine, étant rappelé les différentes mesures, mécanismes et programmes mis en œuvre à cet effet, y compris notamment l'adoption le 9 novembre 1995 du Code de protection de l'enfant, qui constitue encore aujourd'hui une référence de ce qu'une société peut faire de mieux en la matière. Ce code a été, de fait, un modèle de référence lors de l'élaboration de plusieurs lois dans un certain nombre de pays arabes, y compris en particulier la loi de l'enfant palestinien de 2004, la loi de l'enfant en Egypte, n° 12/1996, telle que modifiée par la loi n° 126/ 2008, la loi de l'enfant à Oman, publiée le 19 mai 2014, la loi de protection de l'enfant en Algérie du 15 juillet 2015, la loi n° 2015-21 sur les droits de l'enfant au Koweït, sans égard aux projets en cours d'adoption en Jordanie et au Maroc. Convient-il de surcroît de rappeler que la nouvelle Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 contient plusieurs dispositions spécifiquement consacrées aux droits de l'enfant, y compris notamment l'article 47, sans oublier nombre d'autres textes adoptés toutes ces dernières années, dont notamment la loi organique n° 2016-61 du 3 août 2016 concernant la prévention et la lutte contre la traite des personnes, portant entre autres création de l'Instance nationale contre la traite des êtres humains et la loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017 relative à l'élimination de la violence à l'égard des femmes et dont certaines dispositions touchent aux droits de l'enfant. D'aucuns seraient pourtant enclins à affirmer que le ralliement de la Tunisie à ce mouvement universel de défense et de promotion des droits de l'enfant ne ferait que masquer la réalité. Nous vivons en fait une époque essentiellement ambivalente, y compris dans le domaine des droits de l'Homme de l'enfant. Car, s'il est vrai qu'aucune époque n'a autant donné à ses enfants de droits, de soins, d'attention spéciale, aucune époque n'a, en même temps, autant exposé à des risques ses enfants et autant demandé d'adaptation à ces derniers : enfants abandonnés ou vivant dans d'autre situations difficiles — pauvreté, handicaps, abandon scolaire, exploitation économique, exploitation sexuelle, prostitution des enfants, pornographie impliquant des enfants, déviance et délinquance juvéniles, enfants victimes d'embrigadement religieux, enfants associés ou affectés par des crimes terroristes, etc. — autant de figures, parmi tant d'autres, qui continuent à interpeller l'Etat et les différentes parties prenantes et qui commandent un questionnement fécond sur les valeurs réellement véhiculées et partagées au sein de la société, ainsi que sur les moyens que l'Etat et la société tout entière sont prêts à consentir pour une remobilisation croissante en faveur de la protection et de la promotion des droits de l'enfant, en vue notamment de : - Lever toutes les autres formes de discrimination persistantes frappant les enfants pauvres dont la précarité affecte sérieusement la jouissance de leurs droits à l'éducation, à la santé, aux loisirs, à la participation aux divers aspects de la vie citoyenne. - Eliminer, à l'instar des recommandations faites par le Rapport de la Commission sur les libertés individuelles et l'égalité, les dispositions discriminatoires quant aux droits des filles en matière successorale, ainsi que les droits des enfants nés hors mariage en garantissant expressément leur droit au bénéfice des mêmes droits que l'enfant né dans le mariage en matière d'héritage. - Garantir le droit de tous les enfants et des jeunes handicapés à devenir des citoyennes et citoyens à parts égales dans les établissements éducatifs et dans tous les autres espaces de la vie sociale, y compris dans les zones résidentielles, avec la possibilité d'accéder à tous les services et lieux de loisirs, culturels et sportifs sans discrimination ni obstacles de toute nature. - Prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées, en vue de prévenir et réprimer toutes les formes d'atteinte à la vie privée des enfants en veillant, en particulier, à ce que la législation pertinente offre une protection adéquate aux enfants eu égard aux médias et aux TIC et à ce que les politiques et les mesures tiennent compte des risques différents que courent les filles et les garçons face aux diverses formes de violence dans différents cadres, y compris celui de la protection contre toute intrusion indue dans la vie privée. - Poursuivre les efforts en vue de mettre en place un dispositif cohérent et pérenne assurant le renforcement du système de la justice juvénile dans son ensemble, et ce, aux différents stades de la poursuite et de l'instruction, du jugement et de l'exécution des décisions concernant les enfants en conflit avec la loi au stade de l'enquête préliminaire et de l'instruction, y compris par la modification du régime juridique de la garde à vue et de la détention préventive, au stade du procès et des voies de recours, ainsi que par le renforcement des garanties de protection des enfants privés de liberté, y compris par l'interdiction formelle de l'usage de la force et la garantie que les procédures disciplinaires ne soient utilisées qu'en dernier recours et que les sanctions correspondent au minimum nécessaire, tout en veillant à ce que les enfants privés de liberté bénéficient du meilleur état de santé possible, aient accès aux soins préventifs et curatifs appropriés et à un éventail d'activités et d'interventions significatives, qui favorisent leur progression vers des régimes moins contraignants, ainsi que leur préparation à la sortie et leur réinsertion dans la société, etc. C'est au prix d'une telle mobilisation collective que nous pourrons ensemble garantir que le moment de l'enfance soit réellement le moment qui permette aux enfants, à tous les enfants, d'inscrire éternellement la Tunisie dans leur confiance !