L'Atrium de Carthage, espace ou boutique d'art, organise, sans grande publicité, une exposition des tableaux de Jalel Ben Abdallah. Cet espace, beaucoup plus commercial que culturel, attire notre attention justement parce qu'il permet à quelques créateurs de rentrer financièrement dans leurs frais et même de vendre assez bien leurs travaux, ce qui constitue un mérite et permet aux artistes, dans cette période de vaches maigres et de morosité du marché de l'art, d'écouler leur production dans de bonnes conditions.Dans le cadre de l'exposition en question, deux remarques s'imposent à nous : • Jalel Ben Abdallah fait partie de ces artistes qui ont toujours bien vendu leurs œuvres. Cela jette du baume sur le cœur quand on constate que ce peintre continue à travailler et à occuper sa place sur le marché de l'art. On aurait aimé, cependant, que son exposition soit plus médiatisée pour qu'on sache que ce peintre éminent continue à peindre et à bien peindre et non pas seulement à bien vendre. Les espaces d'art sont des lieux de culture et se doivent donc d'informer et de faciliter l'accession d'un grand nombre d'amateurs d'art aux œuvres. Limiter cet accès seulement à ceux qui peuvent acquérir les œuvres d'art diminue le rayonnement culturel des œuvres et les réduit à n'être que des marchandises. • Le deuxième intérêt que nous portons à Jalel Ben Abdallah, en dehors du succès commercial qu'il rencontre, et nous en sommes heureux, est d'ordre artistique et esthétique. En effet, il continue à l'âge de 89 ans à peindre. Il peint et expose depuis 1936 des œuvres qui ont contribué petit à petit à développer un style particulier ayant connu un succès grandissant et qui a été défini comme typique et spécifique à Jalel Ben Abdallah, surtout lorsqu'il se réfère à ses orientations picturales " orientalisantes ". Son œuvre n'a pas connu beaucoup de ruptures et de bouleversements. Voilà qu'aujourd'hui, elle semble vouloir entamer, modérément il est vrai, de nouvelles approches. Qu'en est-il réellement ? En vérité, Jalel Ben Abdallah continue à s'inspirer de la même veine orientalisante qui l'a rendu célèbre. Il peint toujours ses intérieurs silencieux et ses grands espaces. Son dessin très fin continue à saisir les objets, les choses et les personnages de la même manière. Jalel Ben Abdallah se préoccupe toujours de peindre " la quiétude ", " la fraîcheur " devant un moucharabié, " les yeux noirs ", " la rêverie " et autres " conversations "… Toutefois, on décèle l'apparition discrète, mais réelle, de nouvelles approches picturales et des " clins d'œil " à la modernité, sous forme de références directes et appuyées à Rodin, à Klimt et plus franchement à l'expressionnisme de Chirico. Voulant s'inscrire dans cette mouvance plus moderne, le peintre adopte une nouvelle manière de peindre qui délaisse les compositions habituelles pour des réalisations moins formalistes et plus libres au niveau de la couleur qui gagne en vigueur et en mouvement. En effet, Ben Abdallah aspire à peindre, à l'âge de 89 ans, autrement. C'est ainsi qu'il s'intéresse à " la danse du feu ", aux " jolies mômes ", aux " onze femmes"… toutes ces œuvres possédant une connotation plus moderne. Ces références à l'art moderne octroient à l'œuvre de Jalel Ben Abdallah une dimension nouvelle d'ouverture sur autre chose que sur les " silences des palais ", les marines éthérées du golfe, les deux cimes du Boukornine ou les femmes nonchalamment étendues sur les terrasses de Sidi Bou Saïd. Le peintre voulant peut-être dire qu'il possède une solide culture artistique et qu'avec les mêmes moyens d'expression artistique, il peut fréquenter les grands de l'art du XXe siècle. Cette nouvelle orientation technique et thématique augure-t-elle une coupure iconographique et annonce-t-elle une rupture dans l'évolution de la peinture de Jalel Ben Abdallah ? Cette exposition renferme des œuvres plus humanistes, moins a-historiques que celles de la période " silencieuse ", des œuvres qui se préoccupent du monde et de la vie de tous les jours. C'est ainsi que les thèmes classiques du peintre connaissent une évolution aussi bien au niveau de la composition et de l'expression qu'au niveau des éléments plastiques de représentation. Un vent de folie frappe la torpeur mélancolique de nos femmes silencieuses, lascives et consentantes. Les " jolies mômes " se payent même le luxe de cacher des silhouettes à peine esquissées sur une plage où on entend le bruit des vagues et des baigneuses. La précision graphique méticuleuse et chromatique n'est plus recherchée. " Danse du feu ", " jolies mômes " ou celle des " onze femmes " sont des œuvres où le peintre découvre, ou redécouvre le mouvement, le besoin de creuser l'espace spontanément et avec une gestualité débridée et par le simple jeu des couleurs et des lignes. Dans son œuvre " Danse du feu ", l'artiste se libère du diktat du dessin méticuleux, ce qui libère ses formes, et même si ces dernières occupent toujours une position frontale habituelle à l'artiste, l'expression est plus fraîche et nettement plus spontanée. Grâce à ces nouvelles ouvertures, même modestes et limitées, du peintre sur les possibilités picturales et les thématiques nouvelles, Jalel Ben Abdallah confirme sa disponibilité pour s'ouvrir au monde et accède ainsi à une nouvelle dimension qui lui permet d'ajouter à son approche spécifique une autre plus humaniste et plus universelle.