La galerie de la médina reprend ses activités de plus belle, et expose les travaux fort intéressants et originaux de l'architecte et peintre Samir Makhlouf. Samir Makhlouf est connu pour avoir très souvent exposé ses œuvres (dix expositions personnelles sans compter ses participations à des expositions collectives nombreuses). L'exposition organisée aujourd'hui est très particulière. C'est la première que Samir Makhlouf organise après le 14 janvier 2011, et d'ailleurs l'exposition s'en ressent puisqu'une bonne moitié des oeuvres exposées m'a été réalisée qu'après cette date. Le titre de cette manifestation « liberté », sonne comme une référence à l'évènement et comme un hommage aux peintres et à tous ceux qui, au nom de la liberté, ont exigé la restitution de sa dignité à notre peuple. L'approche plastique du peintre : la découverte de la foule. L'approche plastique à laquelle nous convie le peintre est une sorte de confirmation de la continuité du style du peintre au niveau formel, mais annonce quelques modifications au niveau du discours esthétique, la représentation de la foule exécuté à travers une perspective plongeante (vue d'en haut) semble être un dépassement assez discret, mais réel de l'approche habituelle du peintre centrée sur les ambiances d'un espace intérieur et sur l'individu. Samir découvre aujourd'hui la foule, le peuple et la rue. La stylistique. La stylistique prônée par le peintre lui est propre. Elle occupe une place particulière et originale sur la scène picturale en Tunisie. La manière de concevoir la composition des œuvres, le travail de la ligne (le dessin) de la couleur et des distorsions qu'elles subissent, produisent des formes, des surfaces et des volumes, déformés mais identifiables. Les perspectives plongeantes (vues d'en haut) ou les perspectives en contre-plongée (vue d'en-bas) ont fait le reste et ont produit des distorsions qui participent à définir techniquement et esthétiquement le travail de Samir Makhlouf. La figuration dont il s'agit ici, n'est pas la figuration à laquelle nous sommes habitués. Elle est autre ! Elle n'est pas académique, elle n'est pas orientalisante. Elle n'est pas totalement moderniste. Le « cheval » de Samir plane les quatre fers en l'air, la tête et le cou sont tous co-présents « le pisseur » (en fait la pisseuse) est debout les jambes minimalisées sont visibles mais elles sont écrasées par la masse. La représentation de l'espace est quelquefois le résultat d'un écrasement ou d'une surélévation des objets représentés. Le « nu » (la mathématicienne) n'est pas beau. Le gros ventre et les petits seins ne visent pas l'expression du beau ou de l'érotisme mais voudrait justifier le discours qui l'accompagne. «La démocratie » parle ou crie la bouche ouverte, grande ouverte. L'autre particularité du style de Samir Makhlouf est le lien qu'il établit avec le texte. …Un lien énigmatique. Le textuel Le texte est quelquefois en rapport avec la représentation. Ce rapport n'est pas de l'ordre d'une illustration de l'image par le texte. Ce rapport est assez énigmatique. Il a un statut poétique ou conceptuel et garde son autonomie. Le texte dit le tableau, mais le lien n'est pas nécessairement établi, le peintre en face de son tableau « ailleurs » dit : « Dès qu'on s'oublie dans l'oubli de l'autre, elle efface les limites des corps » Le tableau intitulé « ailleurs »pourrait illustrer lui aussi le texte. Un va et vient s'établit. Cependant n'octroie ni à la figure ni au texte la primauté de l'un sur l'autre. En fait il ya comme une co-présence des deux expressions. Les deux sont de l'ordre du discours ! du langage !... conceptuel dirait le peintre. Tous les textes affirment qu'ils habitent la figure et vice-versa. C'est du moins l'ambition de la démarche !! Une autoréflexion de cet art-langage instaure la suffisance de l'un à l'autre. La distance entre le pictural et le texte est abolie de facto. L'art est conceptuel L'art n'est pas seulement affaire de formes ou de technique, (technique mixte, acrylique, dessin au crayon gras) l'art est idée, concept ! La peinture semble se contenter d'être au service du concept selon Samir Makhlouf. Le peintre, le dessinateur, le graveur, le sculpteur lorsqu'ils se coltinent au textuel qu'ils s'en imprègnent s'érigent eux mêmes en herméneutes de leurs propres œuvres et les critiques de leur propre travail. Ils nous invitent et nous indiquent en fait comment lire leurs œuvres. La peinture conceptuelle en s'arrogeant le droit de se suffire à elle-même pense avoir clôturé ce qui devient ainsi une structure ou le sens ne vient que de l'intérieur du système. La richesse de l'œuvre picturale n'est plus mise en valeur, sa polysémie est réduite par son introversion et par sa reconversion en un discours logique d'un artiste dorénavant conceptuel. La matière disparaît, la métaphore aussi ! La sensation s'épuise!! Est- ce le règne hégélien de l'esthétique, de l'esprit absolu qui n'a plus besoin de la matière d'œuvre pour atteindre la conscience en soi et pour soi. Ce moment a permis à Hegel d'annoncer la fin de l'art à travers sa dématérialisation. Pourtant l'art a continué à vivre et à évoluer à travers des ruptures et des soubresauts qui n'ont fait que confirmer sa puissance et ses possibilités d'adaptation extraordinaires. L'art n'est pas mort, il n'est pas prêt de mourir, il ne fait que se transformer, muter pour refléter, toujours autrement les besoins de l'homme en art et en beauté. Samir Makhlouf fait partie malgré la spécificité de son style de ces jeunes peintres tunisiens qui se préoccupent de conceptualiser l'art et ambitionnent de dire autrement le monde : leur monde. Le fait d'avoir forcé quelque peu, notre lecture de la relation de la peinture et du textuel chez Samir Makhlouf est destinée a éviter esthétiquement un effacement de la différence entre la pratique picturale et le textuel et ceci par plaquage et projection de l'un sur l'autre, nous visons à sauvegarder la spécificité du faire et de l'épaisseur de la gestualité picturale par rapport à la « linéarité » du texte sert à se défaire de l'orientalisme. Certes il est légitime que les artistes tunisiens s'essayent à des pratiques et expériences picturales nouvelles (déjà dépassées) et qu'ils soient à l'écoute des sollicitations de l'art contemporain. Il est peut être plus judicieux de renforcer en sauvegardant l'art pictural tunisien « âgé » seulement d'une centaine d'années en procédant à son remodelage à partir de sa réalité pour éviter qu'il approfondisse davantage sa propre marginalisation et lui donner les moyens de sa propre liberté afin qu'il soit à même de développer des approches originales pouvant enrichir l'expression artistique universelle. Samir Makhlouf pourrait agir dans ce sens, il en a les moyens! La liberté de créer dont il parle est difficile à atteindre. Pour le moment, il ne nous l'a fait que miroiter.