Nous étions très impatients de voir enfin comment le mouvement artistique en Tunisie allait saisir les grandes ruptures historiques vécues dernièrement par notre société et leur impact sur la culture et sur la production artistique en particulier. Nous étions en droit de savoir comment nos petits écrans et même les grands allaient aménager le réel et comment ils allaient transmettre les images de la reconquête des espaces de nos villes, de nos rues et des espaces de nos libertés… et nous avons vu le film de Mourad Ben Cheikh « Plus jamais peur ». Est-ce suffisant pour dire toutes ces pages de révolte et d'espoir de tout un peuple ou devrions nous attendre pour digérer les événements et les recomposer ? L'art de la rue : Galerie Artyshow Nous avons franchement escompté rassembler les témoignages graphiques et leurs traces sur nos murs comme empreinte de ces jours ineffaçables de notre mémoire. Nous avons pu, malgré tout, apprécier leur récupération par la galerie Artyshow qui a su mettre en valeur les graffitis d'artistes à pseudonymes évocateurs. SK, ONE, MEEN, Willis from Tunis, avec ses chats et ses belles inscriptions et les belles revendications politiques pour d'avantage de couleurs et de liberté. Le message de la rue a envahi les espaces artistiques et le message n'a pas été occulté. Nous avons vu des œuvres directement politiques de la galerie Ammar Farhat : Les enseignes de la citoyenneté et nous avons apprécié les « chaises » de Nadia Jelassi et avons obtenu sa promesse de s'occuper dorénavant d'autres meubles. Nous avons entendu et vu le ras-le-bol de Mohamed Ben Slama. Nous avons enregistré le texte et l'intrusion du politique dans l'approche de Aïda Filali. Nous avons accompagné Omar Bey à la galerie dans ses dénonciations de tous les « guerrica » du monde ! Nous avons apprécié cela mais aussi d'autres choses encore. L'histoire entre brutalement sur nos toiles et dans nos œuvres. L'art n'est plus a-historique, il est devenu soudainement perméable à son environnement et il semble devenir plus sensible aux événements et aux pressions du temps. La 9ème session du Printemps La 9ème session arrive-t-elle à traduire ces pressions et les formuler artistiquement ? Tout le monde, ou presque, s'accorde pour affirmer que l'art, en dernière analyse, reflète la vie, mais tout le monde ou presque s'accorde pour dire que ce reflet n'est pas immédiat et qu'il n'est pas automatique. Etre au diapason du monde suppose que nous acceptions, sans grande réticence, d'être à l'écoute du réel. Comment avons-nous vécu et apprécié cette exposition de la 9ème session ? Comment pouvons nous approcher la sculpture, les arts plastiques (photo, gravure, métiers d'art, les installations et autres expressions) mais aussi les autres activités développées par la manifestation. Les artistes ont été libres, libres sans aucune entrave pour exprimer leur démarche, leur conviction dans le style qu'ils ont eux-mêmes choisi, certains ont été librement sensibles pour se préoccuper de ce qui se passe autour d'eux. D'autres plus nombreux ont continué imperturbablement leur recherche antérieure. Jugeant peut-être qu'il n'est temps ou urgent de réagir aux événements. C'est alors que nous voyons les travaux de plusieurs de nos artistes se cantonner dans des démarches formelles sans lien aucun avec nos « fantasmes » révolutionnaires. Les performances Les manifestations les plus spectaculaires se sont déroulées dans les espaces d'Al Abdelliya et de Sadika. Les performances picturales de Harbaoui et de Chalbi ont été accompagnées de danse moderne réalisée par le ballet de Nadia. Les performances de musique et de chant d'une grande beauté de L.Sellami ont été suivies par énormément de spectateurs et d'auditeurs. En fait, les espaces de La Marsa (Al Abdelleya, Artyshow), Palais Saâda de Gammarth (espace Sadika), les galeries de Sidi Bou-Saïd (Saladin, Cherif fine art, Ammar Farhat) ont accueilli des milliers de visiteurs. Les activités purement artistiques comme la sculpture, la céramique, le verre artistique, la photo, la gravure, ainsi que l'art pictural ont trouvé refuge dans tous les espaces cités plus haut ; La sculpture Le patio d'Al Abdelliya ainsi que l'espace Sadika ont permis une mise en scène des sculptures réalisées dans les matériaux différents et « installés » quelquefois en plein air ! Les travaux de Héla Briki, de Latifa Sayadi et plus particulièrement de Yosr Bakrini, de Mohamed Ferchichi, de Moëz Safta, de Latifa Laâbidi, maintiennent tous les mêmes exigences du travail bien fait ceci malgré quelque fois les difficultés rencontrées dans les manipulations et le façonnage des matériaux. En fait les travaux de sculpture ont attiré notre intérêt et celui du public. Spectaculaires, les œuvres réalisées l'ont été pour leur homogénéité des techniques déployées et des matériaux de récupération (éléments mécaniques, essieux, systèmes de transmission…) rassemblés au chalumeau ou autrement). Les éléments ont été intégrés dans une démarche sculpturale très réussie, même si la démarche récupératrice est assez vieille et la problématique datant quelque peu ! Au niveau général, nous constatons que la sculpture dans notre pays semble renaître et retrouver son éclat du temps de feu Hédi Selmi, de Bousetta, de Ben Mahmoud, de Fehri sans oublier Marzouki et Belifa. La relève est assurée peut-être, pourrons-nous envisager de revenir à un politique d'embellissement de nos villes. Les ronds-points excessivement nombreux peuvent être animés de belles structures et d'installations de toute beauté pour égayer nos espaces urbains désespérément vides aujourd'hui ! La céramique La céramique est également présente au Printemps des arts Les recherches récentes sont celles de Mohamed Hachicha dont le triptyque a été mal présenté mais qui garde toute son originalité. Sana Attia nous propose une sorte de sculpture argileuse de ses « brisures » de poterie. Samia Achour nous sert de nouveau un travail connu mais intéressant. Des travaux en gypse exploitent les accumulations accidentelles des masses ; La galerie Cherif fine Art présente à Sidi Bou-Saïd les travaux de céramique de Jelenka Bellagi. Cette artiste plasticienne-céramiste nous invite à l'accompagner dans une quête qui est sienne depuis quelque temps déjà mais qu'elle continue inlassablement, méticuleusement à poursuivre. Jelenka Bellagi fabrique ses carreaux de céramique de différentes dimensions pour les intégrer dans un tableau qu'elle accroche comme un peintre accrochant son tableau. Les carreaux de Jelenke sont poinçonnés, gravés par estampage engobés, émaillés cuits et polis et ensuite installés dans leur tableau. Les titres évocateurs : Kairouan, les saisons, les paysages transparaissent un niveau des icônes estampillés sur les carreaux : Kairouan aura sa coupole ou son minaret, joint ses lumières et ses ambiances chaudes. Le plus remarquable dans ce travail c'est la patience de Jalenka dans son assemblage de ses carreaux, qui fonctionnent également comme un puzzle en mosaïque. Un autre volet de l'exposition à Cherif Fine Art est consacré la tentative de Jalenka de s'adapter à la peinture. Les résultats semblent devoir se renforcer par une structuration plus savante de l'espace et des couleurs en délaissant la naïveté de la conception. La photographie La photo assez bien représentée, va de la photo érotique ou même quelque fois plus que cela pour englober des travaux très intéressants et en liaison avec les événements. Les travaux de Lotfi Ghariani vont jusqu'à s'impliquer dans l'événement et rassemblent les bombes lacrymogènes qui nous ont fait tellement tousser et enfumer. Wadï Mhirsi est également très intéressant. Asma Belhassine arrive à rendre expressifs et lumineux des crânes normalement lugubres. Le verre Le verre thermoformé et le fusing sont très bien représentés lors de cette 9ème session par Ichraf Ben Sabeh et par une formatrice des arts du feu. Ichraf déploie tout son savoir-faire verrier moderne pour « coudre » ses plaques de verre et introduire par inclusion des métaux dans le verre. Cette opération d'habitude difficile a réussi. Ichraf a pu opérer l'inclusion et produire une œuvre plastique très appréciée par les artisans des métiers d'art. La peinture : un peu de polémique La peinture quoique massivement présente dans les différents espaces du printemps semble être un retrait par rapport aux autres genres artistiques. Est-ce la perte de références picturales, l'ignorance par les artistes des principes de composition. Les étudiants ne sont plus instruits dans les 13 ou 14 instituts d'art des éléments picturaux essentiels. L'anarchie, le chaos régnant dans les activités artistiques sont peut-être, les causes d'une perte d'importance de l'art pictural. La peinture semble déstabilisée. Elle ne possède plus ses références anciennes tant techniques, qu'esthétiques. La peinture académique orientaliste ou même abstraite n'est plus du goût de nos amis conceptuels ou installationnistes. Les artistes figuratifs sont décriés même ceux adeptes de la figuration nouvelle ne trouvent pas de grâce. Certains adeptes du modernisme iconoclaste s'empressent d'enterrer la peinture et par extension l'art en général. Les peintres comme Lamine Sassi, Harbaoui, Omar Bey Gmach, Zelfani, Rouma, Souissi, Sondess Blach Bellakhal, Mejri, Abida, sont juste tolérés. Les peintres jeunes (Skik) ceux s'attachent au patrimoine comme Yasser Jradou et d'autres abstraits sont considérés comme des artistes de la préhistoire. La peinture apprise par les apprenants est-rétrogade. Elle est même risible. Ce qui est mis en valeur c'est l'art utilitaire consacré par les expressions artistiques nouvelles comme l'art technologique , la photographie, le cinéma, les installations, les échafaudages sur la base de textes et les images-écrans… La peinture est considérée comme vieillerie. La peinture en Tunisie est, par rapport aux milliers d'années de peinture, relativement jeune. Elle n'est âgée que de 100 ans. Elle n'est donc pas chargée d'ans… Elle n'est même pas malade d'histoire. Les représentations plastiques obéissant à des pulsions esthétiques ésotériques et conceptuelles sont en fait, amnésique des espaces picturale, qui sont en fait, plus riches en images que ces arts du concept. Les images, les figures sont peut être dangereuses et gênantes pour tous ceux que l'exercice pictural complique la vie et la carrière. La peinture n'est pas à l'agonie. Sa pratique en Tunisie nous place ailleurs, que dans le confort du vide de la sensation, de la subjectivité émotionnelle et de la réalité transfigurée Nous en aurons toujours besoin et peut-être, aujourd'hui, plus qu'hier.