L'on se demande jusqu'où nous conduira la précampagne électorale à laquelle nous assistons désarmés. Alors que les deux grands groupes qui tiennent à s'affronter comptent s'armer jusqu'aux dents La «nouvelle opposition» parlementaire dont fait désormais partie Nida Tounès projette de déposer, dès lundi prochain, un recours contre diverses dispositions de la loi de finances 2019 auprès de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi. Une instance provisoire qui s'est déclarée plus d'une fois «incompétente» sur des questions similaires, alors que la Cour constitutionnelle reste bloquée, sujette au partage partisan des voix. Les 65 députés qui s'apprêtent à mettre en cause la loi de finances 2019 appartiennent essentiellement aux groupes parlementaires de Nida Tounès, du Front populaire, d'Attayar, d'Al Wala lel Watan et du Bloc démocratique. Les signataires du recours reprochent à cette loi d'avoir été adoptée sans consultation du Conseil supérieur de la magistrature et de contenir des clauses inconstitutionnelles, voire anticonstitutionnelles. Cette contestation est également formulée par les avocats, les médecins et l'ensemble des professions libérales par l'intermédiaire de l'Union tunisienne des professions libérales. Les avocats, qui ont organisé hier une marche de protestation entre le Palais de Justice et la place de la Kasbah, avec pour mot d'ordre : «Le secret professionnel est une ligne rouge», ont mis à profit le «petit mot» lancé, avant-hier, par le président de la République, Béji Caïd Essebsi, lors de la dixième commémoration de la fondation de l'Institut supérieur de l'avocature, à laquelle l'avait convié son confrère le bâtonnier de l'Ordre des avocats, Ameur Mehrezi. BCE a apporté son grain de sel au débat ambiant en confirmant l'attachement des avocats au respect du secret professionnel auquel il a même rajouté l'immunité. Faut-il rappeler que la loi de finances a été adoptée par 113 voix pour, 36 voix contre et 11 abstentions, ce qui ne laissait pas du tout entrevoir l'éventualité d'un recours groupant de 60 à 65 signatures, dans la mesure où un tel report des voix aurait pu conduire tout simplement au rejet du projet de loi lors du vote. S'exprimant en réaction au tollé tardif soulevé par les articles 33 et 34 de la LF, autorisant la levée du secret professionnel à la demande de l'administration fiscale, le ministre des Finances, Ridha Chalghoum, a estimé qu'en réalité, le secret professionnel était maintenu pour les consultations juridiques, les affaires en cours et l'activité initiale de l'avocat. Selon sa lecture, la levée du secret professionnel autorisée par la nouvelle loi de finances ne concerne que les activités en dehors du métier d'origine de l'avocat. Ce qu'il considère conforme aux pratiques internationales en la matière. Mais qui donc va en juger, maintenant que la loi est adoptée ? Il faut dire que la contestation ne s'arrête pas à cette question du secret professionnel ou médical... qui est légitime mais devient cruciale lorsqu'il s'agit de déclaration fiscale. La nouvelle opposition critique l'ensemble de la loi de finances, qu'elle juge «incapable de résoudre la crise» économique et sociale, tout en pointant du doigt un favoritisme à l'avantage de «certains lobbies». Selon eux, le report d'une année du passage de 25% à 35% du taux d'imposition des grandes surfaces serait une mesure ciblée en faveur d'un groupe d'hypermarché bien déterminé. Alors que l'argumentation de l'administration fiscale repose sur la transparence de cette activité commerciale et son rôle dans la compression des prix en «étroite collaboration» avec les pouvoirs publics. Bref, la Tunisie n'est pas sortie de l'auberge. Et l'on se demande jusqu'où nous conduira la précampagne électorale à laquelle nous assistons désarmés. Alors que les deux grands groupes qui tiennent à s'affronter comptent s'armer jusqu'aux dents. Ne pourrait-on pas rétablir le dialogue patriotique pour sauver le pays ?