La Banque mondiale a récemment rendu publics deux rapports de grande importance sur le développement et l'éducation dans la zone du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena). Ces rapports ont révélé de grandes défaillances au niveau du marché du travail et du système d'éducation dans les différents pays de la zone. La présentation des rapports a été effectuée hier à Dar Dhiafa, Carthage, en présence du chef du gouvernement Youssef Chahed, de Férid Belhaj, vice-président de la Banque Mondiale pour la région MENA, des membres du gouvernement tunisien, des ambassadeurs et des représentants du secteur privé. Les constats montrent l'ampleur des challenges auxquels fait face la zone MENA en général et la Tunisie en particulier. Cette zone qui regorge de compétences humaines peine à les exploiter convenablement. De même pour le système éducatif qui doit évoluer pour permettre un équilibre entre l'apprentissage et l'enseignement. Selon Férid Belhaj, représentant la Banque Mondiale, la région comptera en 2050, 300 millions de demandeurs d'emploi. Un chiffre important qui requiert une attention particulière de la part des décideurs d'aujourd'hui et de demain, puisqu'il faudra répondre à cette demande sur un marché de travail qui n'a plus de capacité d'absorption. «C'est un défi mais aussi un enjeu positif qui appelle à une démarche positive à investir dans l'éducation, dans les nouvelles technologies, dans le renforcement des compétences et aussi à un grand engagement du secteur privé», a-t-il affirmé. Engagement gouvernemental Le chef du gouvernement a indiqué que le développement humain a toujours été une priorité pour la Tunisie, étant une composante essentielle du développement économique du pays. «Nous entamons plusieurs réformes pour l'enfance, la femme, l'enseignement, la santé et les services de base. Nous tablons sur l'interaction entre le système éducatif et le secteur productif afin de répondre aux demandes sur le marché», a-t-il ajouté, soulignant que la petite enfance bénéficie de programmes spéciaux pour être les compétences et les leaders de demain. Il s'agit aussi de réformer le secteur de la santé, en révisant certains textes législatifs et procéduraux. L'objectif étant de permettre un accès plus accru aux services de santé dans les régions intérieures, puisque 70% de l'investissement est orienté vers ces zones. Pour la couverture sociale, il a souligné que le gouvernement a engagé des programmes de soutien social, en faisant bénéficier 242 mille familles nécessiteuses d'aides financières et 620 mille individus de cartes de soin gratuits. Zied Laâdhari, ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, a affirmé que la présentation des deux rapports de la Banque mondiale est une occasion pour réfléchir sur les enjeux à long terme. « Une grande partie des emplois actuels sont voués à disparaître et d'autres seront créés, vu les transformations que connaît le marché du travail et les évolutions technologiques et numériques. Il faut réfléchir sur la façon avec laquelle nous allons préparer nos enfants pour ces évolutions, pour la quatrième révolution industrielle, avec des compétences qui leur permettent de s'adapter à la vie professionnelle», a-t-il expliqué. Il a signalé que la Tunisie a été le premier pays dans le monde à répondre positivement à l'initiative de la Banque mondiale pour le développement du capital humain. Il a ajouté que toutes les études ont montré que l'investissement dans ce capital crée la richesse. M. Laâdhari a précisé que le gouvernement tunisien œuvre pour accélérer les réformes dans le système de l'éducation, de l'enseignement et de la formation professionnelle et à permettre aux jeunes d'acquérir les compétences technologiques nécessaires. Il a indiqué que les classes préparatoires seront élargies pour concerner la petite enfance. De même, il s'agit d'investir dans les soft skills qui sont devenus une composante essentielle du cursus professionnel. Les réformes essentielles De son côté, Frederica Saliola, codirectrice du rapport sur le développement dans le monde 2019 à la Banque mondiale, a insisté sur l'importance de l'adaptabilité des demandeurs d'emploi aux mutations du marché du travail. "Certains ont peur de l'automatisation qui va détruire plusieurs métiers mais avec l'automatisation il y a l'innovation et un surcroît de nouvelles opportunités. Il faut être sûr d'absorber cette innovation, surtout avec le développement rapide des plateformes numériques dans le monde et dans la zone MENA", a-t-elle lancé, ajoutant que la zone connaît quelques difficultés à ce niveau, surtout au niveau de l'accès, limité, à la technologie large bande, la mauvaise qualité de la connexion internet et l'absence de paiements numériques. Elle a aussi pointé le poids de l'économie informelle dans la région, absorbant 60% des personnes actives. Une économie qui pousse à repenser le modèle de couverture sociale pour permettre une protection des individus et non des emplois. En ce qui concerne le système éducatif, Safaa El Kogali, responsable du département éducation pour la région MENA, a affirmé que l'investissement doit être fait dans les individus et l'ingrédient clé est l'éducation. Le rapport a montré que les élèves de la région figurent parmi les moins performants dans les évaluations internationales. Un paradoxe qui trouve son origine dans les tensions existantes entre diplômes et compétences, contrôle et autonomie, discipline et esprit critique, tradition et modernité. «La région est coincée dans une logique de diplômes. Les élèves sont des apprenants passifs et n'acquièrent pas de compétences de résolution des problèmes. Il faudrait un meilleur équilibre entre éducation et apprentissage», a-t-elle expliqué. Cela nécessite un renforcement concerté de l'offre éducative. Ceci passe par sept étapes nécessaires : commencer tôt à développer les compétences de base, donner à tous les enfants la chance d'apprendre, encourager l'excellence chez les enseignants, adapter la pédagogie et les pratiques d'enseignement, régler le problème de la langue d'instruction, utiliser efficacement les évaluations et l'apprentissage et exploiter la technologie. «La région MENA doit passer à une logique de compétences et s'engager dans une réforme de l'administration publique», a-t-elle précisé.