Par Mansour M'HENNI Il est des moments d'intense méditation parce que d'intense douleur, ces moments où la mort vient rappeler que la grandeur est éphémère et de petite satisfaction devant la majesté d'une action et la beauté d'une réalisation. La nouvelle de la mort de Tahar Chériaâ est pour moi de cette même intensité et de cette égale douleur. Aussi loin que le souvenir m'emporte, je retrouve l'image imposante de cette stature lourde du poids d'une immense culture, d'une intelligence percutante et d'une sensibilité osant à peine se cacher devant l'apparence apollinienne d'un artiste provocateur, d'un poète agitateur, et cependant coulée dans le moule doré d'un patriotisme à toute épreuve et d'un humanisme inaliénable. Les images se superposent en fondu enchaîné, depuis l'adulte bien bâti et bien empli dans sa jebba, à Sayada, ne se séparant jamais de son livre; au discoureur séduisant et convaincant dans les salles de cinéma débattant des films projetés; au retraité amoureux du farniente sans lassitude intellectuelle ! Mais, ce qui m'interpelle le plus et m'engage au plus haut point, c'est la fixation qu'il a eue sur moi à son retour au bercail, une fixation où j'ai relevé son désir intense de voir se concrétiser une action locale qui pérenniserait sa mémoire dans cette ville qu'il a tant aimée et qui aujourd'hui se prépare à le contenir tout entier et à le faire fusionner en elle, dans une étreinte plus maternelle que funeste. Il y a quelques semaines, Tahar Chériâa me rappela à son chevet en présence de deux témoins, deux personnes qui lui sont chères, et m'a fait promettre de prendre en charge sa bibliothèque à Sayada et de veiller sur elle. Je remercie à l'occasion M. le gouverneur de Monastir qui a réagi rapidement, en impliquant les autorités locales, pour répondre à mon vœu de voir le Musée du patrimoine, endormi depuis près de dix ans et sans statut officiel, s'ouvrir et contenir cette bibliothèque cinématographique de Tahar Chériâa en attendant des jours meilleurs et un local plus approprié, peut-être pour les deux objets (le musée et la bibliothèque), avec, pourquoi pas, une association du nom de "Club Tahar Chériaâ pour l'audiovisuel". Tahar Chériaâ décédé nous invite à plus de labeur et à plus d'engagement pour la Tunisie et pour la culture tunisienne, pour l'amour de la patrie à partir de l'amour de la ville natale et vers l'amour de l'universel humain. La grande fierté est cependant dans l'attention continue et les soins rapprochés dont le Président Zine El Abidine Ben Ali a entouré Tahar Chériâa; il y a de quoi donner chaud au cœur à tous les acteurs culturels de notre pays.