Notes sur la bande de la mémoire. De ce court texte théâtral de Beckett, Boukadida et Chaafi ont façonné une œuvre minimaliste; ils posent, tous les deux, un regard sur l'œuvre initiale et lui injectent, à leur tour, de leur univers et réflexion. «Notes sur la bande de la mémoire», tel est le titre choisi par Anouar Chaafi pour sa nouvelle création présentée récemment au 4e art et produite par le Théâtre national. Cette adaptation de «la dernière bande» de Samuel Beckett, écrite au départ pour la radio, a pris une nouvelle forme sous la plume de Ridha Boukadida qui a écrit le texte et campe le rôle central, la dramaturgie a intégré aussi une actrice, Mouna Talmoudi, dont le personnage est une représentation de plus d'une femme de la vie de ce vieillard à la recherche d'une mémoire perdue. De ce court texte théâtral, un quasi-monodrame, Boukadida et Chaafi ont façonné une œuvre minimaliste; ils posent, tous les deux, un regard sur l'œuvre initiale et lui injectent, à leur tour, de leur univers et réflexion sur les thèmes de Beckett si inspirants tels : la mémoire, le langage, la transmission, le récit, la narration, l'image, le son, le réel et ‘impression du réel en les déposant sur cette bande magnétique. Dans «Note sur la bande de la mémoire», le vieil écrivain raté et clochardisé, monologue en réécoutant de vieilles cassettes, sorte de journal intime où il témoigne de sa vie, ses rencontres, ses amours, ses combats et ses échecs, Confronté au vide, il donne sens à sa vie en se souvenant…les apparitions des femmes qui meublent sa triste vie, ponctuent son existence et le ramènent quelque part à la réalité. Quand Boukadida joue ce vieillard, il lui donne de son vécu, les mots sortent difficilement de la bouche du comédien, balbutiant, bégayant, insistant sur des mots et pas d'autres, comme s'il est à la recherche du langage. Le fil du récit est entrecoupé, suit rarement une chronologie et trouve une caisse de résonnance sur l'écran placé en fond de scène sur lequel sont projetées les images des cassettes. Cet écran devient aussi un prolongement de la scène, du théâtre à l'écran, dans un jeu dialectique se nourrissant l'un de l'autre. C'est un effet qui vient donner de la profondeur à la nudité de la scène et ramener un bout du monde réel au théâtre. Au fait, Boukadida porte en plus le personnage et son double, et même une multitude de dimensions, lui vieux et avachi, le souvenir de ce qu'il était il y a trente années, lui à chaque combat et à chaque défaite et surtout sa conscience des choses et du monde qui l'entoure. Cette pluralité se manifeste dans le récit qu'il évoque et les souvenirs qu'il commente, contenues dans les cassettes. Dans l'exiguïté de cette tanière poussiéreuse, il reçoit quelques visites, réelles ou fruits de son imaginaire, peu importe, ces visites lui apportent réconfort, même s'il se montre exaspéré. Cette présence occasionnelle vient lui injecter une part du monde extérieur qu'il semble fuir. Entre chaises roulantes ou se mettant sur ses deux jambes, notre personnage titube, comme un bébé qui apprend à marcher, il se dresse et s'écroule, pour finir par s'élancer hors la scène, puis hors le théâtre et c'est le même écran sur lequel on découvrait ses enregistrements, on le voit sortir dans la rue et partir loin. C'est en quittant la scène et en rejoignant le monde réel ou semblant de réel que ce travail prend un sens encore plus existentiel. En changeant de support, de la scène à l'écran, notre vieux intègre, à son tour, les fragments de souvenirs, il devient lui-même sujet d'une mémoire, filmée et fixée sur la bande magnétique d'une VHS.