La semaine dernière, c'était le rendez-vous annuel des jeunes du théâtre qu'organise El Teatro depuis déjà sept ans. Un rendez-vous qui se veut à chaque fois un lieu d'échange, de rencontre, de débat et de découverte de nouvelles expériences. C'est pour ces motivations-là que l'espace essaye à chaque fois de réunir et de dénicher des nouveautés, des expériences inédites et même de produire de nouvelles créations. On peut citer Pain quotidien de Naoufel Azara, Repli de Moez Guediri, Avec le temps de Salah Hamouda, Bonne occase, le stand up de Souad Ben Slimane et Graine de Satan de Hafedh Khélifa, sans compter les deux pièces pour enfants, présentées le week-end, et le spectacle du jeune El Teatro Studio Si…da m'était conté. Une ouverture bien en avance ! Pour des raisons qu'on ignore, El Teatro a choisi de présenter sa nouvelle création Pain quotidien qui était supposée assurer l'ouverture de cette manifestation bien en avance, soit le 16 janvier, deux semaines avant «Avant-premières». Ce choix a contribué à disperser l'intérêt pour ces rencontres qui, au lieu de commencer avec une nouvelle création, se sont contentées d'une entrée en matière timide avec Si…da m'était conté, un travail déjà présenté par les élèves d'El Teatro Studio... Revenons à Pain quotidien, production d'El Teatro, adaptation et mise en scène de Naoufel Azara, d'après le texte original de l'auteure allemande Gesine Danckwart. Huit personnages qui se tournent les pouces, tournent en rond dans une administration (un lieu de travail). Barricadés par des tas de dossiers et de paperasses, ils partagent des moments d'intimité et de confidences. Les relations entre eux se tendent parfois pour devenir complices. L'on parle à bâtons rompus des relations humaines, de la morosité de la vie, du stress, du vide et de la solitude… L'absurdité, quelquefois poussée, des dialogues se mêlent par moments à une recherche de sens. Mais le jeu approximatif de ces jeunes comédiens en herbe (ils viennent tous d'El Teatro Studio) n'aide pas forcément le mécanisme de la pièce à prendre son élan. Pain quotidien, vue et transmise par l'univers et l'imaginaire de Naoufel Azara, n'est pas une pièce facile à saisir. Ces personnages qui tournent en rond portent un texte peu évolutif en soi. Certes, c'est un choix, mais que l'ensemble de la pièce soit aussi morne et lourd, cela pose problème. Ce genre de texte est généralement difficile à mettre en scène, à lui définir ses contours et ses sous-entendus. Il fallait, peut-être, pour arriver à le partager avec le public, se reposer sur des comédiens capables de lui donner une autre dimension, de l'étoffer et de lui offrir de l'épaisseur avec, bien entendu, une meilleure maîtrise de la scène et du jeu. A propos de jeu, celui de ces comédiens est resté minimaliste, usant de dialogues sans consistance et incapable de leur donner de la contenance; et c'est dommage ! Déjà vu… mais ! Par contre, Avec le temps, mise en scène de Salah Hamouda, d'après le texte de Imed Saket, est un travail qui s'est distingué essentiellement par le jeu des comédiens. Deux personnages, la soixantaine passée, se retrouvent en tête à tête autour de souvenirs très lointains. Le passé et le présent y sont servis avec humour, ironie et même cruauté. Et si la formule est déjà assez épuisée, celle du duo, se racontant sa vie et évoquant ses souvenirs sur un banc public à la lueur d'un réverbère (rappelons-nous de Mémoires d'un dinosaure d'après Dialogue d'exilés de Brecht ou encore la toute récente Faute de frappe de Houssem Sahli), a trouvé un bon écho dans la vision de Salah Hamouda qui a misé sur ses comédiens et l'originalité de ses personnages. La clôture ! Avec Repli, une autre adaptation produite par El Teatro, mise en scène par Moez Guediri d'après le texte du Syrien Mohamed Attar, se sont clôturées les rencontres du jeune théâtre. Ce projet, également interprété par un duo d'El Teatro Studio (décidément, ça devient une obligation), a tout de même réussi à créer un univers particulier, avec une scénographie plus que minimaliste : deux chaises et une bouteille d'eau. L'enfermement, l'isolement et l'impossibilité de vivre une histoire d'amour en plein jour dans une cité écrasante et une société qui épie tous les amoureux, est le thème de Repli. Moez Guediri, qui a tunisifié ce texte syrien, a rendu possible une véritable communion entre les personnages et le public. Mais ce metteur en scène ne s'est pas limité à créer cette émotion sensible, aussi bien sur scène que dans la salle, il s'est employé, à chaque fois où la complicité était là, à rompre le charme, en nous balançant une bande-son des conversations des deux acteurs pendant les répétitions, se tournant en dérision, discutant du texte et se moquant l'un de l'autre. Malgré les tâtonnements inhérents à toute première, Repli de Moez Guediri a réussi un bel équilibre entre la poésie du texte et la fraîcheur du jeu des comédiens, nous faisant adhérer à ce travail, tout en créant cette distanciation qui nous place importunément au centre-même du dispositif du travail. Quelques regrets ! Au bout d'une semaine, et même plus, le bilan de cette 7e édition semble mitigé. C'est toujours avec un réel plaisir que le public suit et découvre les nouvelles créations, mais l'on se demande pourquoi, cette année, les séances de débat qui suivaient les représentations n'ont pas eu lieu. Pourtant, les œuvres présentées ont suscité des questionnements et même des conversations assez houleuses à la sortie de la salle de spectacle, d'autant que «Avant-premières» revendique, depuis sa création, son identité d'espace de rencontre et de débat. Deuxième point négatif : à quoi bon programmer des travaux qui ont été déjà vus et revus tels que Graine de Satan de Hafedh Khélifa, une pièce qui non seulement a été moultes fois jouée mais qui est également une reprise d'un même travail qui a été mené, il ya quelques années, par ce même metteur en scène, avec des comédiennes italiennes. A part le changement des acteurs, Graine de Satan était du réchauffé avec le même décor, la même scénographie… Troisième bémol : le retrait à la dernière minute de la pièce de Nassib Barhoumi, Raja. Cette annulation a été exigée par l'auteure du texte initial Fleur de cactus, Alia Tebiï, qui s'est opposée fermement à la présentation de la pièce, assurant qu'elle n'a jamais été contactée par le metteur en scène pour disposer de son texte et qu'elle n'a jamais donné son accord pour que son roman soit adapté au théâtre. Au-delà de ce déplorable incident, c'est la question du droit d'auteur qui est revenue sur le tapis. Une question qui aurait, à elle seule, nécessité un vrai débat. Asma DRISSI