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«Une révolution en quête de rêve»
Entretien du lundi — Moez Mrabet (Auteur, metteur en scène)
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 02 - 2019

Auteur, acteur, metteur en scène, artiste sans concession et irréductiblement engagé, Moez Mrabet signe son retour au théâtre avec "Blood Moon", qu'il met en scène au théâtre Al Hamra, sur un texte de Basma El Euchi. Quatre ans après son dernier opus "Escale 32", Moez Mrabet renoue avec sa vocation, le théâtre, après un mandat brutalement interrompu à la direction du Festival international de Hammamet et du Centre culturel international de Hammamet.
A partir d'un texte puissant, taillé dans une «écriture éclatée», Moez Mrabet écrit dans une mise en scène sensible et intuitive ces vérités indicibles, insaisissables qui sont les nôtres. Les faits sont tangibles, deux femmes, une lune, un assassinat politique des rêves avortés et un avenir confisqué…Une réalité tunisienne déconstruite par l'imaginaire donnant des images vertigineuses, d'un monde intérieur fracturé. Une traversée du miroir où le spectateur est observateur actif, questionné, se voit plonger dans les profondeurs de l'âme des deux héroïnes, mais ce qu'il découvre c'est que cet univers est commun à tous, celui du pays.
Une pièce dense qui se prête à l'exégèse comme à l'autopsie et que le metteur en scène dissèque pour nous éclairer avec passion et ferveur. Entretien.
C'est la pièce qui signe votre retour au théâtre, après une" pause administrative". Qu'est-ce qui vous a décidé à mettre en scène ce texte?
C'est, effectivement, un retour, pour la mise en scène, mais en réalité je n'ai jamais quitté le théâtre tout comme il ne me quitte jamais. Pour ce qui est de cette pièce, c'est d'abord le texte de Basma El Euchi qui s'est imposé à moi comme une nécessité. Un premier texte, intense et dense, une écriture sincère éclatée, brutale et intime....Un vrai défi théâtral.
Un challenge que vous relevez, en défiant le public aussi, avec une forme très particulière, voire risquée par moments, ne craignez-vous pas que votre traitement soit mal compris ?
C‘est toujours un challenge, quelle que soit la forme ou la nature du spectacle, les spectateurs chacun d'eux dans son individualité est un terrain à conquérir. Le texte de Basma El Euchi comportait déjà cette forme de transgression que je devais restituer, et qui ne supportait pas une forme classique habituelle. J'ai donc usé des moyens dont on peut disposer sur une scène (lumière, son vidéo, acrobatie, danse…) pour restituer cet univers mental. C'est une mise en scène axée sur le jeu des deux actrices, et sur le jeu qu'elles inventent entre elles. Nous avons choisi pour parti pris d'éviter un traitement réaliste ou trop direct avec ce sujet qui est au cœur de toute l'actualité nationale. L'univers onirique du texte permettait cette écriture scénique qui, sans décontenancer le public, lui ouvre des perspectives nouvelles dans son expérience de spectateurs.
Un univers de «Blood Moon», ou "Lune de sang" est un titre que vous avez choisi, quelle en est la signification?
Le texte de Basma El Euchi situe l'action dans une nuit d'éclipse lunaire ou lune de sang. J'ai choisi de donner ce titre à la pièce car il décrit exactement l'univers de cette histoire : ce phénomène rare (éclipse lunaire totale) renvoie directement à l'imaginaire ésotérique, au mystère, au surnaturel, à la magie...L'astre lunaire est également lié à l'énergie créatrice féminine, à la poésie, et au rêve. C ‘est une force douce et puissante et j'ai trouvé que c'est le cadre juste pour le texte initial. Cet événement a d'autres portées, comme des prophéties apocalyptiques, la menace d'une plongée planétaire dans l ‘obscurité qui exprime aussi l'univers mental des deux personnages: une fuite impossible et sans issue. Cette nuit particulière est une date sanglante: l'assassinat d'une poétesse "Hedia" dans une place publique. Un événement qui déclenche la peur et la violence dans la cité comme dans la tête de deux femmes en particulier, liées par une admiration commune pour l'artiste assassinée. Zeineb et Alya tentent de fuir, mais doivent faire face à leurs peurs, à leurs échecs et leurs rêves avortés.
La lune comme métaphore d'une évasion du réel vers la poésie, vous y faites presque "l'éloge " de la fuite ?
La fuite dans cette pièce est un parcours initiatique entrepris par Zeineb et Alya. Ce n'est pas une éthique, mais une façon de désamorcer un état critique. Cette fuite est un jeu, une illusion. Elle est au début une réaction de survie, seule issue pour échapper à la mort certaine, au sort des poètes ou des artistes qui se révoltent. Mais les deux femmes sont dans une impasse, comme clouées dans ce lieu qui, à la fois, les étouffe et les rassure. Chacune d'elles a essayé la révolte mais s'est retrouvée sous l'emprise de chaînes encore plus lourdes comme sous une autre dictature. C'est une sorte de voyage intérieur, un parcours initiatique, d'où aucun ne sort indemne.
Dès le début de la pièce, vous plongez le spectateur dans une sorte de cave ou d'abysse pour observer ce parcours, quel est ce lieu étrange que vous avez créé sur scène?
La pièce débute par une chute, lente de Alya (Mariam Sayah ) et de son lot de poupées ensanglantées (comme autant de rêves et d'espoirs ) dans ce lieu indéfini, chargé d'Histoire et délaissé. Il a vu passer des communautés, des idées aussi différentes qu'opposées, c'est une métaphore d'un pays qui peut tout accueillir en son sein, tout tolérer, un endroit à la fois sécurisant mais étouffant d'où on tente de fuir, mais où on reste accroché.
C'est aussi l'espace mental national, il oscille entre différents dogmes et engagements : il a été église, salle de gym, club de boxe, mausolée, association de mères célibataires, entrepôt pour trafiquants d'armes, ligue de défense des coccinelles. Un endroit qui pourrait exister en réalité et dont les contradictions reflètent celles que chaque Tunisien porte en lui. Ce lieu sera le terrain d'un jeu macabre où les deux actrices décortiquent leurs déceptions et leurs échecs, et confrontent leurs deux mondes a priori proches mais qui s'avèrent antagonistes. Le jeu évolue en duel tendu. A la fin, chacune retourne sa violence contre elle, et elles oublient même la quête initiale: celle de la vérité et de la liberté.
Comment qualifieriez-vous votre théâtre?
Je revendique un théâtre de l'émotion, centré sur le jeu d'acteur, un théâtre visuel et gestuel qui donne toute sa place à l'image, la musique, les sons, la vidéo, et tous les éléments qui composent un spectacle "en vie", pour créer chez le spectateur une immersion émotive dans sa propre vie intérieure et sa mémoire. Je ne m'interdis aucun art, pour reconstituer l'univers d'un récit...Dans cette pièce, la vidéo de Ahmed Makhlouf, la musique de Zine Abdelkefi et l'écriture dramaturgique de Ridha Boukadida ont restitué l ‘univers onirique, para réel de Basma El Euchi. Le jeu des actrices et l'harmonie sur scène ont été rendus possibles grâce à la présence bienveillante de Narjess Ben Ammar qui a assuré la direction des acteurs. C'est le théâtre que je défends, il est multiple, ouvert, riche de ses acteurs et de ses intervenants.
Comment arrive-t-on à retranscrire un monde intérieur aussi torturé sur scène ?
C'est un travail de dramaturgie, et de mise en scène, à partir du texte de Basma El Euchi. Le texte est intense et très riche et comportait déjà un rythme propre, une violence, de la douceur et de l'ironie, un texte féminin et fort. A partir de cette écriture brute, tranchante nous avons réécrit "le plateau" un travail fait par l'excellent Ridha Boukadida qui a su traduire en situation et en actes le flux émotionnel et l'intensité du texte qui a su, avec Narjess Ben Ammar, trouver les réponses pour faire exister sur scène ces "fragments d'êtres" qui peuplent le texte.
A travers une toile sur laquelle les vidéos de Ahmed Makhlouf sont projetés, le spectateur accède à un univers intérieur, celui des héroïnes mais également de chaque Tunisien.
Il y aurait donc la possibilité d'une communauté émotionnelle comme un inconscient national?
C'est tout le propos de la pièce. Les doutes et les souffrances qui s'y jouent sont ceux de chaque Tunisiens depuis 2011. L'expression peut varier, parfois, c'est même de l'ordre de l'indicible, de l'inénarrable. La pièce permet cette immersion émotive et montrer qu'un vécu émotionnel commun existe, il est de l'ordre de la télépathie, d'une communication intuitive, un champ magnétique qui rassemble dans une émotion particulière. Comme chacun de nous, Zeineb et Alya se disputent une mémoire, une filiation avec ce symbole qu'est la poétesse, et chacun de nous se pose ces questions : Qu'est ce qui est important à sauver ? Mon rêve vaut-il la peine? Comment avoir un idéal commun quand nos propres désirs sont étouffés ? Comment construire ensemble quand sa propre existence est basée sur une suite d'échecs, de rêves avortés et d'incomplétudes? C'est une situation paradoxale, mais totalement ancrée dans la réalité de beaucoup de Tunisiens et de Tunisiennes tiraillés par des forces antagonistes, ou on est moins dans un état d'équilibre mais de suspension, d'apesanteur, un état des lieux qui est un entre-deux en apesanteur, (qui inaugure et clôt la pièce)
Est-ce un constat d'échec, ce peuple est il réellement capable de rêver, de se fédérer autour d ‘un rêve?
A l'échelle d'un peuple, le rêve devient un marqueur politique, qui motive l'engagement. Les Tunisiens ont perdu toute figure de référence. Paradoxalement, c'est un pays incroyablement riche. Rêver seul, c'est rêver petit et stagner à un stade embryonnaire du rêve collectif...Il en résulte une réalité asphyxiante, insupportable d'une société malade de ce trop-plein de rêves brisés qui devient le terreau fertile de ce à quoi nous assistons : des vagues de suicides social, moral, et parfois même physique : l'immigration clandestine dans les embarcations de la mort, la violence, le fanatisme, «Daech». Tous ceux qui se laissent happer par le gouffre et qui désespèrent le font par manque de vision, par carence de rêve.
Que peut le théâtre face à cet ogre, ce désespoir?
Le théâtre comme tous les arts est indispensable dans ces moments de vie d'un peuple ou d'une société. C'est le lieu de l'émerveillement par définition, et même en montrant des réalités noires il permet d'éveiller une émotion, d'initier une réaction et de faire réfléchir. Plonger dans le monde intérieur de l'autre, comme on le fait dans la pièce, permet d'acquérir une meilleure compréhension de sa vie, sans s'y identifier forcément mais d'établir cette connexion, de proche en proche. Ce que la politique a échoué à faire dans notre pays c'est aussi cela : occuper la réalité, y donner l'empathie, et l'inspiration nécessaires à rêver et désirer un meilleur vivre-ensemble. Malheureusement, le Tunisien s'est retrouvé livré à lui-même sans guidage, enseveli sous des théories abstraites et contradictoires. Il a été manipulé souvent comme un simple outil électoral (particulièrement les femmes) .Dans la politique, dans les médias ont subi des masses quotidiennes de fausses promesses, de mensonges qui débouchent sur des vérités insupportables et irréfutables: la mort, le désespoir des jeunes, la pauvreté, l'enlisement économique, la violence...L'art, la culture et le théâtre sont, au contraire, le lieu de l'intelligence en action, c'est un acte d'espoir qui recherche la vie et ne peut exister sans éclairer. Rêver est un état intérieur et un acte politique engagé et sincère d'où découle l'engagement vrai. C'est en cela que le théâtre est nécessaire


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