C'est une «course contre la montre» qu'elles ont engagée pour geler les fonds de Zine El Abidine Ben Ali. Trois ONG — Transparency International France, Sherpa, déjà à l'origine des plaintes sur les «biens mal acquis» des chefs d'Etat africains, et la Commission arabe des droits humains — viennent de déposer une plainte, hier après-midi auprès du parquet de Paris, pour corruption, recel, blanchiment, abus de biens sociaux, visant le clan de l'ex-dictateur tunisien en fuite. Me William Bourdon, l'avocat de ces ONG, explique leur démarche. Pourquoi avez-vous décidé, dès maintenant, de déposer cette plainte? Il y a trois raisons. D'abord, l'obligation internationale de la France qui a signé la convention de l'ONU de 2003 dont l'article 51 porte sur la restitution des biens mal acquis. Ensuite, et ce phénomène est sans précédent, le peuple tunisien fait de la restitution des biens détournés une question centrale. Il l'exprime véritablement car la corruption a été, dans ce pays, un cancer absolu, pour l'Etat de droit et le développement démocratique. Auparavant, cette question n'apparaissait, dans des périodes de transition similaires, que de façon secondaire. Enfin, les mesures prises par la France [la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, a dit lundi avoir demandé à Tracfin, l'organisme anti-blanchiment, une «vigilance particulière» sur les avoirs tunisiens, ndlr] ne sont qu'un affichage pour faire oublier son silence complaisant, coupable, et insupportable pour les Tunisiens. D'autant que ce dispositif ne permet pas le gel des avoirs! Christine Lagarde affirmait, lundi, qu'il n'y avait pas de «gel des avoirs» car cela nécessitait une décision judiciaire ou internationale. Qu'en pensez-vous? On ne comprend pas pourquoi le gouvernement n'a pas demandé d'office, dès lundi matin, au parquet de Paris d'ouvrir une information judiciaire. Comment dire qu'on va restituer si on ne gèle pas? On ne peut tout de même pas expliquer aux Tunisiens que l'on surveille les mouvements de fonds mais que tout est parti en quinze jours! C'est une course contre la montre, chaque seconde compte. Nous avons déjà reçu des informations qui démontrent que Ben Ali a vidé ses comptes en Suisse hier (lundi), ce qui pose d'ailleurs des questions sur l'attitude de ces banques. Et d'autres informations venant de Tunisie nous permettent de confirmer que Ben Ali a fui avec 1,5 tonne d'or (comme le révélait Le Monde dans son édition de mardi, ndlr). Le clan avait même pris ses dispositions dès le mois de décembre pour organiser cette évaporation. Sur quoi porte votre plainte? Et que sait-on des biens du clan Ben Ali? Les pouvoirs publics français ont forcément une connaissance des avoirs mobiliers et immobiliers des Ben Ali-Trabelsi, malgré la volonté d'opacification de ce clan. Pour les biens immobiliers, il y a au moins un appartement de luxe à Paris, un chalet à Courchevel, une villa à Cannes. Et nous recevons des appels téléphoniques de personnes qui, sous l'anonymat ou non, nous donnent des informations complémentaires, la parole se libère. Et concernant les biens mobiliers, il y a Tracfin, les prête-noms sont connus, tout cela est tracé. Ce serait une sinistre blague que le gouvernement français tombe désormais de sa chaise en nous disant qu'il ne savait pas. D'ailleurs la mesure qu'il a prise ce week-end est un aveu. D'autres recours sont-ils possibles sur le plan international? Un juge d'instruction, lorsqu'il sera saisi, pourra être amené à solliciter des investigations à l'étranger. Et oui, nous envisageons d'élargir le spectre de notre action judiciaire mais l'efficacité commande évidemment la discrétion.