Pour oppressives et sournoises que soient les dictatures, elles n'arriveront jamais à avoir raison de la volonté des peuples. L'ouragan de l'hiver 2010-2011, qui fera sans contredit date dans l'histoire de la Tunisie, du monde arabe et de l'humanité tout entière, nous en a administré la preuve par neuf. De fait, les événements historiques que notre pays a connus l'on fait passer de plain-pied de l'obscurantisme de l'ancien régime aux lumières salutaires de la modernité en l'espace d'un mois par la grâce de la volonté du peuple. Ce peuple a longtemps souffert le martyre sous cette chape de plomb qu'est la dictature de Ben Ali. Cette dictature est d'autant plus sournoise et dangereuse qu'elle n'a jamais osé dire son nom. Ses corollaires obligés sont le despotisme, la terreur et l'oppression. Le cœur du peuple a trop saigné, beaucoup trop saigné. Ce n'est plus tenable. Alors, le peuple a pris son courage à deux mains et est sorti épancher le trop-plein de son cœur. Un cœur meurtri, gonflé de haine sourde, un cœur qui saigne en silence à cause de la corruption rampante, de la désinformation propagandiste (incarnation presque parfaite du Novlangue tel que défini par G. Orwell) et, surtout, de la voyoucratie, et ce, dans un formidable élan primesautier de ras-le-bol général. Le suicide du jeune Bouazizi, paix à son âme, a mis le feu aux poudres. Bouazizi est notre Rosa Parks, nos sans-culottes, nos va-nu-pieds, nos laissés-pour-compte… Méditons ensemble cette réflexion de Platon contenue dans son maître livre La République et gardons-la constamment présente dans nos esprits : «Les peuples n'ont que les gouvernants qu'ils méritent». Et si le peuple est descendu dans la rue pour crier sa haine et faire entendre sa voix longtemps bâillonnée c'est qu'il mérite mieux, beaucoup mieux que ce quarteron de médiocres corrompus qui ont longtemps géré le pays au mieux de leurs intérêts et de ceux de leurs proches… Aidons-le donc à mener à bien son mouvement spontané des abîmés vers les sommets, à faire aboutir cette révolution bénie qui est la sienne. Rompre avec l'ancien régime passe par nombre de mesures salutaires, osons-nous penser, pour l'avenir de cette terre nourricière que nous aimons tant. D'abord et avant tout, tarir les sources de ce sur quoi il repose : le népotisme, le clientélisme, la déification blasphématoire des gouvernants et à leur tête son altesse sérénissime le président, l'abus de pouvoir, le trafic d'influence, l'absence d'un quatrième pouvoir fort, l'absence d'un pouvoir judiciaire libre et de juges indépendants, le charlatanisme, nouvel opium du peuple, s'il en est, après le football et arme redoutable de destruction massive des cerveaux et des esprits libres… La République, la démocratie, la modernité ne sont pas une vue de l'esprit. Nous pouvons les observer, les mesurer, les définir très objectivement. Nous n'avons pas besoin d'avoir le diplôme de normale, d'être polytechnicien ou saint-cyrien pour savoir que cette trinité sacrosainte a maille à partir avec une presse garrottée, une méritocratie foulée aux pieds et un nivellement par le bas devenu la règle dans la plupart des étages de la république bananière dont nous avons subi les affres vingt-trois ans durant. C'est d'ailleurs la raison essentielle pour laquelle nous nous sommes retirés, nous les jeunes qui avons des principes et une certaine idée de la République, de la vie publique, culturelle et politique, ce qui nous a valu bien des problèmes de la part de Big Brother qui a essayé, en vain, maintes fois et par tous les moyens, de nous déstabiliser pour tuer nos idées et nos projets dans l'œuf et faire en sorte que des gens comme moi ne parlent. Le nouveau pays que le peuple mérite ne peut malheureusement pas être reconstruit en sous-œuvre. Il faut saper les bases de l'ancien régime en dotant le pays d'une nouvelle constitution. Qui dit nouvelle constitution dit nouvel esprit, nouvelle manière de voir les choses, nouvel espoir pour le peuple… Il faut pour le moment parer au plus pressé : accepter le gouvernement d'union nationale bien que celui-ci comprenne des membres de l'ancien régime (ils ne sont pas tous corrompus, faut-il le rappeler à nos concitoyens) pour débloquer le pays, lui permettre vite de panser ses plaies et d'organiser dans les meilleurs délais des élections vraiment libres et démocratiques et entamer une nouvelle ère qui nous mènera indubitablement loin sur la voie de la démocratie et de la modernité… D'infracitoyen, je suis devenu un vrai citoyen. Goûter à la citoyenneté véritable nous fera tous dire avec véhémence : plus jamais l'ancien régime, plus jamais ça… Vive la Tunisie libre, vive la République, vive le peuple et paix aux âmes des martyrs qui nous ont fait naître à la vie.