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La Révolution dans la presse internationale
Kiosque inrernationale
Publié dans Le Temps le 28 - 01 - 2011


Le Quotidien d'Oran
«La Régente de Carthage», une prémonition vérifiée
Plus qu'un simple ouvrage politique «La Régente de Carthage», est un véritable plaidoyer des raisons qui ont précipité la chute du régime Ben Ali. Nicolas Beau et Catherine Graciet mettent à nu un régime tribal et corrompu dans ce livre de 174 pages publié aux éditions «La Découverte» en octobre 2009. Une sorte de prémonition de ce qui allait suivre. Le professionnalisme des auteurs, journalistes et écrivains leur a facilité la prospection à travers les écrits et les témoignages qui démontrent comment un pouvoir confisqué, une indépendance vidée de son sens se sont transformés en manne financière au seul bénéfice de quelques familles organisées en toile d'araignée.
Au centre de cette toile une femme, Leïla Trabelsi seconde épouse du Président agit en chef d'orchestre avec pour seule partition l'enrichissement illicite. Usant de stratagèmes où la loi ne sert qu'à s'accaparer des biens d'autrui, usant de son charme plastique pour affaiblir un mari consentant et condamné par la maladie, cette coiffeuse des faubourgs de Tunis se révèle fine manipulatrice des alliances familiales pour repousser la limite de la morale. Tout y passe. Les mariages contre-nature, les complots, les vols, les pressions, les incarcérations voire les agressions contre tout opposant à ses intérêts et à ceux de sa «famille». L'argent sale jaillit de ce livre comme un vomissement. La France officielle y est impliquée pour avoir consenti à faire passer la raison d'Etat avant la démocratie et les relations politiques basée sur la clairvoyance. Pour avoir fait fi de l'opinion publique pourtant hostile aux dérives tunisiennes. La main basse des clans immédiats ou périphériques du palais de Carthage dominé par les Trabelsi sur tout ce qui rapporte un dinar tunisien, démontre la nature exacte du régime né du «coup d'Etat médical» contre Bourguiba. Il y a 24 ans déjà. Un régime familial qui se cachait derrière la modernité où le statut de la femme figure en bonne place comme rempart contre la montée d'un islamisme rampant. L'ascension de Ben Ali est décrite dans «La Régente de Carthage» comme un processus contraire à l'esprit du Néo-destour loin de la morale imposée par les processus d'indépendance au Maghreb. Son épouse n'a fait que prendre le relais dans la pure tradition maffieuse avec l'élégance en moins. On peut lire à la page 56 «Leila Ben Ali dispose de plus de pouvoir réel que le Premier ministre. Elle peut faire et défaire le gouvernement, nommer ou limoger ministres, ambassadeurs, P-DG quand bon lui semble. Elle peut enrichir, appauvrir, faire emprisonner ou limoger qui elle veut quand elle le décide». Mais déjà à la veille de la «révolution du jasmin» les auteurs préviennent : «A la veille de la cinquième élection consécutive de Zine el-Abidine Ben Ali, la Tunisie semblait en apesanteur. Mais, subrepticement les lignes ont bougé tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.» Et de conclure «mais plus Elena Ceausescu qu'Eva Perón, Leila Ben Ali, si elle parvenait à ses fins avec son clan, ferait alors basculer le pays du statut peu enviable de dictature à celui de régime maffieux, qui n'aurait plus rien à envier aux pires républiques bananières. La Tunisie ne mérite pas cela !» Le sort en a voulu autrement et les mirages ont laissé place aux rêves d'un peuple qui a parfumé le Maghreb et les pays arabes des senteurs de son jasmin. En ce sens, Beau et Graciet ont offert leurs concours à l'éclairage de l'opinion publique sur les exactions d'un régime honni par son peuple. La tentative de retirer ce livre de la vente par «la coiffeuse de Carthage» s'est soldée par un échec.
Ahmed Saifi Benziane
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Le nouvel Observateur
Renaissance d'une nation
Par Jean Daniel - 1. Lorsque Rachid Ammar, chef d'état-major de l'Armée de terre, proclame qu'il est le garant de la Constitution tunisienne, c'est le destin même de la révolution qu'il contribue à façonner. Nous avons été les premiers, quand ce général a refusé de faire tirer sur le peuple, à parier qu'il serait un héros national indiscuté. La Constitution qu'il défend désignait l'actuel Premier ministre comme successeur de Ben Ali dans un gouvernement provisoire. Mais si ce Premier ministre est contesté c'est parce que trop d'anciens ministres l'entourent. Un remaniement paraît donc inévitable. C'est le moment de faire le point sur les raisons de la célébration internationale de la révolution dans un tout petit pays de la Méditerranée.
Une révolution pas comme les autres
Nous sommes plusieurs, dont notamment Benjamin Stora et Abdelwahab Meddeb, à qui la révolution tunisienne a rappelé trois souvenirs historiques. D'abord, l'immolation de l'étudiant devenu marchand ambulant Mohamed Bouazizi nous rappelle Jan Palach qui s'était lui aussi immolé à Prague avant le printemps de 1968. Insistons sur le fait que l'immolation possède une exceptionnelle charge émotionnelle car, contrairement aux attentats suicides, elle n'entraîne le massacre de personne et que l'on y meurt sans l'espérance de trouver une récompense au paradis. C'est la détresse à l'état pur. Deuxième souvenir : le rôle décisif du chef d'état-major Rachid Ammar nous a rappelé l'insurrection des officiers portugais rebelles juste avant la révolution des Œillets en 1974. Enfin, la décision de l'Union générale des Travailleurs tunisiens d'appeler à une grève générale évoque Lech Walesa et la révolte polonaise au début des années 1980.
C'est la réunion de ces trois caractéristiques qui fait que la révolution tunisienne ne ressemble à aucune autre et il faudrait à tout prix qu'elle maintienne cette singularité. Or c'est elle qui est menacée de toute part. Un basculement dans la violence de la transition démocratique ferait sombrer la révolution tunisienne dans les convulsions qui ont trop banalement accompagné l'histoire des révolutions. Après, il est vrai, de très graves conflits, d'autres voies ont été suivies : il y a eu la transition démocratique en Espagne, après la mort de Franco, grâce à un compromis entre les franquistes et les républicains ; le pardon tolstoïen de Mandela aux racistes de l'apartheid en Afrique du Sud ; enfin, de manière peut-être plus froidement réaliste, la politique de conciliation des Algériens entre laïcs et islamistes après la tragique guerre civile des années 1990. Les Tunisiens viennent d'ailleurs de créer une commission Vérité et Réconciliation≈: vérité sur Ben Ali, sa famille, son clan, son appareil et ses alliés, mais réconciliation avec ceux qui n'ont fait que le subir sans trouver le courage se révolter.
L'ennemi de la révolution, c'est le chaos
2. Et c'est bien là qu'aujourd'hui le vrai problème se pose. Qui va décider du sort de la révolution ? On comprend les deux camps. D'un côté, celui des Tunisiens qui redoutent les désordres que provoquerait l'attribution de pouvoirs à des gens sans expérience et qui, par besoin de justice, voudraient en découdre avec tous ceux qui se sont compromis avec l'ancien dictateur ; de l'autre, le camp des partisans d'une rupture radicale avec tout ce qui peut rappeler l'humiliation infligée à une nation fière et cultivée par une ploutocratie de grands voyous. On comprend, certes, mais, sans prétendre donner des conseils à des hommes qui viennent de mener seuls leur révolution, on peut nourrir des espérances. Pour ma part, oui, j'aurais préféré que le gouvernement provisoire fût constitué de grands techniciens, c'est-à-dire de grands commis. Or ils ont été nombreux en Tunisie qui ont été écartés et emprisonnés par Ben Ali. Ce fut le cas de Mohamed Charfi, dont la femme Fouazia Charfi, présente dans l'actuel gouvernement, avait accompagné son mari décédé pour accomplir la première grande réforme des programmes scolaires dans le monde arabe.
Sans doute le Premier ministre a-t-il confessé la peur qu'il avait toujours eue lui-même de son président aujourd'hui déchu, et a-t-il annoncé sa décision de ne plus jouer de rôle politique après l'organisation d'une assemblée destinée à préparer les élections. Sans doute sa désignation est-elle conforme à une Constitution que l'armée s'est engagée à garantir. Mais sans un remaniement ministériel, il ne semble plus que cela soit suffisant pour le maintenir dans ses fonctions. Ses principaux ministres ont en effet été trop proches de Ben Ali, trop associés à ses forfaits. Les syndicalistes et les organisations féminines qui sont appelés à jouer des rôles d'arbitre pourront-ils avoir l'appui d'une armée devenue si populaire ? Le pire serait la permanence d'un déchirement qui transformerait une révolution exemplaire en une rébellion sans visage. Et l'on sait bien, dans ce dernier cas, qui seraient les vainqueurs : les militants les mieux organisés, les mieux embrigadés, c'est-à-dire les islamistes qui ont déjà retrouvé leurs mosquées traditionnelles. Résumons : l'ennemi de la révolution, c'est le chaos. Ceux qui sauraient le mieux en tirer parti, ce sont les islamistes. La seule force populaire capable d'assurer un ordre révolutionnaire, c'est l'armée, puisqu'elle est devenue celle du peuple.
Il faut maintenant s'attarder sur les islamistes tunisiens. La lutte contre eux, qui a été le fonds de commerce du despotisme policier de Ben Ali, si elle a remporté quelques succès rassurants au départ, a fini au contraire par les conforter sans toutefois parvenir à ébranler ce que le régime avait le mieux réussi à conserver de l'héritage de Bourguiba : l'émancipation des femmes. Pour libérer, il faut se conduire en libérateur. Or ce n'est pas un démocrate intègre qui a interdit le port du voile aux femmes tunisiennes à l'université, c'est un chef d'Etat de plus en plus saisi par la corruption. Le résultat a été que celui qui avait la réputation de pourfendre l'islamisme aura contribué en réalité à diffuser un islam de protestation, au point que l'on a vu se promener côte à côte des mères dévoilées et des filles portant le hidjab. La dictature de Ben Ali avait fini par faire apparaître l'islam, aux yeux d'un certain nombre de jeunes femmes, comme un refuge de l'honnêteté et de la vertu. Mais on ne peut exclure une baisse de prestige de l'islamisme depuis que ce sont des révolutionnaires laïcs qui ont chassé Ben Ali.
L'énigmatique Libye
3 .Pour revenir aux caractéristiques essentielles de la révolution tunisienne, on comprend bien que, lorsqu'elles ne sont pas réunies ailleurs, la contagion n'est pas évidente. Si l'on a raison d'évoquer l'Egypte, la Jordanie ou le Yémen, il faut surtout se préoccuper des deux voisins : l'énigmatique Libye dont on n'aura jamais fini de parler et la turbulente Algérie. Deux pays détenteurs de pétrole et ménagés par les grandes puissances. En Algérie, au moins pour le moment, le problème se pose différemment. Contrairement à la Tunisie, les femmes n'y sont pas libres et la répudiation de l'épouse y est toujours possible. Mais la presse, si elle connaît de capricieuses contraintes, permet à de nombreux confrères de faire preuve d'une grande indépendance. J'ai eu l'occasion personnellement de le vérifier. Il n'y a pas de couvercle mis sur la marmite prête à exploser. Les jeunes sont proportionnellement aussi nombreux qu'en Tunisie, ils éprouvent peut-être un mal de vivre encore plus grand, mais la presse exprime souvent leur malaise. Non seulement ils n'ont pas reçu la contrainte de se taire pendant vingt-cinq ans mais leurs aînés se souviennent encore des convulsions atroces d'une guerre civile qui n'est pas si lointaine, dans la dernière décennie du siècle dernier. Ce qu'ils peuvent retenir, en revanche, de la Tunisie, c'est le bonheur de la rébellion et la contestation du pouvoir.
«Le Maghreb, c'est nous»
4. Je veux revenir maintenant sur la France, sur l'avenir des rapports franco-maghrébins et sur Sarkozy. Que l'on me permette de rappeler l'article ici publié juste après l'immolation du jeune Tunisien et pendant que s'exerçait la répression qui a tout de même fait une centaine de morts. Je parlais des trois pays d'Afrique du Nord en disant : «le Maghreb, c'est nous». Je soulignais les échanges incroyablement nombreux et féconds qu'il y a entre la France, d'une part, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc, d'autre part. Mais je constatais qu'il n'y avait qu'en France que l'on pouvait penser aux intérêts d'une entité maghrébine puisqu'entre les trois pays il n'y avait pas de rapports directs, comme l'avait constaté mon ami Habib Boularès. Je veux rappeler une fois encore que cet ami, lorsqu'il était président de l'Union du Maghreb, était à chaque instant obligé de constater que chaque pays préférait avoir des rapports directs avec la France plutôt que de négocier avec son voisin. Si «le Maghreb, c'est nous», c'était vrai avant les turbulences tunisiennes, ce l'est davantage encore désormais. Il y a de l'autre côté de la Méditerranée 80 millions d'hommes et de femmes dont le destin concerne directement la France.
Maintenant il ne faut pas que les Tunisiens soient rendus trop amers par les maladresses inexcusables de certains des gouvernants français qui ont été souvent plus ridicules que coupables. Donnons acte tout de même à Frédéric Mitterrand qui a exprimé des regrets en forme d'autocritique. Quant à Nicolas Sarkozy, il ne pouvait pas faire moins que ce qu'il a fait, mais il l'a fait. Reconnaître qu'il a sous-estimé la révolte et l'impatience des Tunisiens, c'est tout simplement stigmatiser la carence des services de renseignements, des diplomates et de son entourage. Sarkozy a raison, je le maintiens, de rappeler qu'une ancienne puissance coloniale est astreinte à des devoirs de réserve envers ses anciennes colonies. Il n'y a pas si longtemps que les islamistes algériens accusaient leurs adversaires d'appartenir à un «parti français». Mais il a tort de s'en servir comme d'un alibi à la cécité. Je voudrais cependant adjurer les Tunisiens d'oublier les gouvernants. Non seulement une partie de la presse française a sauvé l'honneur mais, tout de même, c'est la nation tout entière qui a accueilli les victimes et les adversaires de la dictature tunisienne. Pour aider les Tunisiens à conserver l'euphorie et la fierté de leur révolution, restons avec eux dans le souvenir d'hier et pour les combats de demain.
J.D.
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Le Monde
Tous tunisiens, tous ivoiriens....
Ce n'est plus une contagion ou un coup de vent, c'est une traînée de feu qui saisit les esprits à travers l'Afrique. La Tunisie a chassé son tyran, et l'envie de faire de même se répand... et pas seulement dans les pays arabes. Il n'est pas tout à fait certain que la "révolution du jasmin" soit bel et bien une révolution. Il est incontestable, en revanche, qu'elle a eu lieu en terre d'Afrique.
Zine El-Abidine Ben Ali appartenait à cette catégorie de chef d'Etats représentée aussi bien au nord qu'au sud du Sahara - et aussi ailleurs dans le monde -, régnant sur des systèmes pourris jusqu'à l'os, défendus par une combinaison d'autoritarisme et de bons chiffres macroéconomiques. Comme si un taux de croissance (environ 4 % en 2010) à faire pâlir d'envie l'Europe avait la possibilité de nourrir les affamés et d'étancher leur immense soif de liberté, cette denrée non négociable qui ne change pas de valeur selon les régions ou les coutumes locales. Les pays ne sont pas seulement peuplés d'estomacs, même vides. Dans la petite planète globalisée, il serait temps de s'en rendre compte, avant que la rue ne se charge de mettre les choses au clair.
"Pain, liberté, dignité", clament les slogans de Tunis, manière de rappeler que, dans un contexte où les prix s'envolent, être pauvre devient, encore un peu plus, une douleur. La douleur, on le sait, n'a pas de fond. On ignore en revanche à quel moment elle devient intolérable. En Egypte, où, depuis la fin 2010, le prix du pain augmente de 10 % par mois, et où l'écrasante majorité de la population peine à se nourrir, on a peut-être atteint ce seuil.
Allongeant le pas à son tour pour aller à grandes enjambées vers les émeutes salutaires, la jeunesse égyptienne brandit des pancartes calquées sur celles de Tunis pour tenter d'obtenir, elle aussi, le départ d'un chef de l'Etat détesté : "Moubarak, dégage !" Dans d'autres pays, comme au Soudan, on rêve aussi de voir un régime corrompu, paralysé, finir par prendre l'avion pour fuir la colère de sa propre rue.
Le continent éclate de jeunesse, il n'en peut plus d'être mené par des dirigeants qui se disputent les records de longévité au pouvoir, du Burkina Faso au Tchad, en passant par le Cameroun, avant de songer à passer la main à un de leurs enfants, comme au Sénégal. Combien de temps les vieillards tiendront-ils la maison Afrique ? Se souvient-on qu'en mai 1968 l'exaspération d'étudiants du Quartier latin, à Paris, étouffant dans la France gaulliste, avait déclenché une onde de choc mondiale ?
"A la fin tu es las de ce monde ancien", écrivait Guillaume Apollinaire (Zone) en 1913. De cette lassitude extrême, il y a déjà eu deux précédents au Soudan, en 1964 et en 1985, lorsque le pouvoir fut renversé par des mouvements insurrectionnels. Des régimes à bout de souffle, une corruption vertigineuse, une nomenklatura qui s'approprie les ressources et les leviers de l'Etat, tandis que les prix montent en même temps que la colère. Voilà qui doit rappeler quelque chose à d'autres peuples du continent.
En Afrique, où se perpétuent des présidents maîtrisant l'art de transformer les élections en crampons neufs pour se visser un peu plus au pouvoir, il y a de quoi méditer. C'est sur cette base que, à la suite de l'élection en Côte d'Ivoire, et du drame noué autour de son résultat, des mouvements naissent à travers le continent. Ici, un groupe de jeunes responsables, essentiellement du secteur économique, originaires de plus de 20 pays d'Afrique, ont lancé un appel sur Facebook : "Nous sommes tous ivoiriens", pour réclamer que la victoire d'Alassane Ouattara, certifiée par les Nations unies, soit aussi reconnue dans son propre pays.
L'initiative, à peine lancée, a été tuée dans l'œuf par des inconnus, soutenant de toute évidence le camp de Laurent Gbagbo, lequel s'appuie sur une inversion des résultats réalisés par le Conseil constitutionnel pour s'affirmer réélu. Page bloquée. Les animateurs du groupe d'origine ont dû aller chercher un "développeur de site Web béninois en Pologne", raconte Mamadou Touré, l'un des animateurs, pour lancer dans le même esprit le Sursaut citoyen africain (www.sursautcitoyenafricain.org), avant de découvrir un mouvement similaire en Afrique de l'Est (www.vote4africa.org). Leur point commun : que la volonté des citoyens soit écoutée, notamment lors des élections. Avant qu'ils ne finissent dans la rue. Ou pire encore.


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