Par Aymen Hacen Nous n'avons pas l'habitude du chaos. Nous avons plutôt l'habitude de vivre dans la sérénité. Certes, nous avons payé cher le prix de cette sérénité, qui, pour beaucoup aujourd'hui était synonyme de lâcheté ou de cécité, mais désormais, grâce à la volonté de tout le peuple tunisien, tout a changé, radicalement. Nous avons crié victoire, mais le chaos s'est vite installé, semant la terreur, le vandalisme, le meurtre, tous étrangers au quotidien tunisien. Il ne s'agit pas d'un cri alarmiste. Il s'agit d'un appel serein pour que la violence ne s'empare pas des sacrifices de notre peuple pour les réduire en cendres ou en l'ombre d'un rêve d'espoir. «La révolution n'est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre», écrivait un révolutionnaire célèbre. Ces paroles, si tentatrices et enthousiasmantes soient-elles, ne peuvent en aucun cas accaparer notre pensée, encore moins notre état d'esprit ou état d'âme. Nous ne rappellerons jamais assez aux nôtres et à nous-mêmes qui nous sommes au juste. Nous ne sommes pas un peuple violent. La preuve a été donnée par l'acte sacrificiel de feu Mohamed Bouazizi qui a ému, révolté et donné naissance à la révolution de notre peuple. Les martyrs tombés ont amené ce changement. Nous ne sommes donc pas un peuple violent et nous ne saurons l'être. Aussi nous faut-il lutter contre les mises à sac des biens de notre peuple, qu'ils soient publics ou privés. Le pillage et le saccage ne sont pas notre lot quotidien. Notre mémoire collective est hantée par le souvenir de la destruction de Carthage à l'issue de la troisième guerre punique, par les souffrances de Carthage tout au long de la présence vandale du roi Genséric, par les invasions des Hilaliens décrites par Ibn Khaldoun dans ses Prolégomènes ou Al-Moukaddima et par tant d'autres violences subies par notre patrie bien-aimée. Nous devons par conséquent appeler au retour au calme. Chacun de son côté doit reprendre ses fonctions. Chacun d'entre nous doit penser que le cours normal des choses doit reprendre au plus vite. Nous devons regagner nos bureaux, rouvrir nos magasins, reprendre nos cours et enseignements, afin que le mouvement économique et social traduise la réussite de la révolte populaire. Oui, il faut traduire ces acquis par le travail, chevronné et passionné, dans la mesure où comme l'écrit le même révolutionnaire cité plus haut : «La diligence et l'économie doivent être partout observées, dans la gestion des usines, des magasins, des entreprises d'Etat et coopératives, comme dans tout autre travail». Nous ne tairons pas davantage le nom de ce révolutionnaire car il s'agit du père de la Chine moderne. Nous citons cette voix pour maintes raisons, lesquelles sont plus objectives que subjectives. Les mots «diligence», signifiant empressement dans l'action, et «économie», qui signifie travail, production, vie en somme doivent de fait être à l'ordre du jour, comme suit : «Si vous devenez orgueilleux — si vous manquez de modestie, si vous ne faites plus d'efforts, si vous ne respectez pas les autres, si vous ne respectez pas les cadres et les masses — , vous cesserez d'être des héros du travail et des travailleurs modèles. De tels cas se sont présentés dans le passé, et j'espère que vous ne suivrez pas cette voie». Nous nous plierons de notre côté à ce principe en espérant reprendre le chemin de l'école. En attendant que les voies et les portes d'accès s'ouvrent de nouveau, parce que ceux-là dépendent de tous et de chacun, nous invitons les nôtres, tous les patriotes tunisiens qui daigneront nous lire, de résister au chaos en optant pour la sérénité, d'éviter la dégradation de l'économie et de la société nationales en choisissant le travail et la diligence.