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Plomb dans le corps, ils témoignent...
La caravane de la liberté
Publié dans La Presse de Tunisie le 28 - 01 - 2011

Je ne peux m'empêcher de penser à la fameuse réplique de Jean Marais dans le film Le Bossu: "Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi!", pour parler des raisons qui ont motivé tous ces gens venus de toutes les régions du pays, de tous les bords, laissant (pour certains) maisons et enfants, pour défendre leurs revendications qui demeurent toujours d'actualité. Certains "tunisois" les ont accueillis à bras ouverts, chargés de vivres et de couvertures, de quoi tenir par ce temps et par ce froid. D'autres s'érigent en donneurs de leçon et les qualifient de perturbateurs, empêchant les gens de reprendre leur train-train quotidien. Trop facile quand on est bien au chaud chez soi, entouré de ses enfants, affalé sur le sofa, en train de pondre de pseudo -théories et d'émettre des commentaires sur la situation du pays. "Qu'ils retournent chez eux et reprennent leur boulot", j'ai entendu dire l'autre jour sur une radio nationale. Pourtant ces gens, que l'on traite de "sauvages", ont tenu bon en résistant seuls aux balles de l'oppression, et embarquant par leur bravoure tout un peuple dans une révolution sans égale. Ces mêmes gens répondent aujourd'hui à la Kasbah, à ceux qui les jugent trop facilement, à travers un sit-in on ne peut plus pacifique, en précisant avec dignité qu'ils ne sont pas venus demander l'aumône, mais réclamer des droits bafoués et violés des décennies durant. Et c'est justement parce qu'ils n'ont pas encore de "boulot" qu'ils ont rejoint cette "caravane de la liberté".
L'itinéraire de la liberté
Ils sont là depuis dimanche dernier, 23 janvier 2011. "Nous avons quitté Menzel Bouzayan (gouvernorat de Sidi Bouzid), le vendredi ou le samedi, je ne me rappelle plus exactement de la date. Le départ s'est fait à 11h00 du matin et on n'était alors que 100 personnes", nous a confié Chaouki Slimani, un manifestant que nous avons rencontré, mardi dernier, sur les lieux, et de reprendre: " Sur la route on a été rejoints par des manifestants de Meknessi et des autres délégations voisines, nous nous sommes arrêtés, ensuite, sur Rgueb avant de prendre la direction de Cherarda (délégation de Kairouan) où nous avons eu un apport logistique. Une fois à Kairouan nous avons attendu l'arrivée des gens de Kasserine et de Gafsa".
A l'âge de 34 ans, Chawki a payé le prix fort pour son adhésion et son action au sein de l'Union Générale des Etudiants Tunisiens (UGET). Renvoyé de l'université après trois années d'études en arabe, on lui a refusé, par la suite, l'accès à d'autres facultés (Kairouan et Sfax), mais également des universités internationales en refusant de lui délivrer un passeport. Aujourd'hui, il est obligé de se contenter d'un travail journalier.Chawki est, malheureusement, un cas parmi tant d'autres et comme eux il a décidé de crier son ras le bol devant le Premier ministère à la place de la Kasbah." Nous ne sommes pas venus semer le trouble comme certains se plaisent à dire dans un effort vain pour banaliser notre mobilisation et avorter notre révolution. Nous aimons notre pays et nous l'avons défendu jusqu'au bout. En arrivant ici, nous avons été accueillis,au niveau du péage de Mornag, par des citoyens qui, armes en main, nous ont menacés en nous demandant de rebrousser chemin, nous leur avons expliqué que nous sommes venus défendre et préserver la révolution de tout le peuple tunisien," précise encore ce dernier.
Lundi dernier, le 24 janvier 2011, premier contact avec les manifestants campant tout le long de la place de la Kasbah. On apprend qu' ils étaient, environ, mille le premier jour. Un nombre qui s'est dupliqué, depuis, avec l'arrivée des autres personnes venues de tous le coins du pays (Tozeur, Gafsa, Théla et d'ailleurs) et par la mobilisation de certains de Tunis.
Ici et là, des foules éparses clament haut et fort "la dissolution du RCD", "la démission du gouvernement de transition" ou encore appellent à une "réforme de la constitution", mais tous se joignent pour dire qu'ils ne veulent pas des restes de l'ancien régime. Certains (parmi eux des personnes agées) étaient affaissés par terre, sur des matelas procurés par les riverains, usés par une nuit passée à la "belle étoile". Les regards sont dignes et fiers, certains reconnaissants pour le moindre intérêt accordé à leur présence, d'autres plutôt méfiants envers les médias tunisiens complices par leur silence...
Certains ont même refusé de témoigner de peur que leurs propos soient recyclés, d'autres encore nous accostaient réclamant plus de couverture et de représentativité, reprochant le manque de journalistes tunisiens sur le terrain. Témoignages:
Victimes et témoins d'une date funeste
On nous apprend que certains de ceux qui ont survécu à leurs blessures par balle, durant les manifestations qui ont succédé à l'immolation de Bouazizi, sont présents parmi la foule. On nous conduit à l'un d'eux: Mohamed Amine Slimani (le frère de Chawki), un jeune garçon de 18 ans, blessé par balle au niveau de la poitrine (côté droit).
C'est un jeune homme (bac lettres) l'air timide, mais le regard grave, qui vient à notre rencontre. Mohamed Amine se met à nu au sens propre comme au figuré, affichant avec fierté sa cicatrice au niveau du torse. Autour de nous, des proches à lui nous apprennent, avec indignation, que l'on n'a pas voulu lui retirer la balle qui demeure jusqu'à maintenant dans son corps. "ça s'est passé, un vendredi 24 décembre 2010, lors des altercations avec les forces de l'ordre à Sidi Bouzayen. Je n'ai pas vu venir le coup car c'est un sniper qui m'a tiré dessus", déclare ce dernier. Le calvaire de ce jeune homme ne s'est pas arrêté là. Une fois tombé sous le coup de la balle, qui lui a percé le côté droit de la poitrine pour venir se loger au côté gauche pas loin du coeur, son frère Chawki Slimani, présent et témoin, l'a vite emmené à l'hôpital de la région. Et dès lors, les mises en scène et les mensonges se sont succédé: "Dès notre arrivée à l'hôpital, on m'a empêché d'accompagner mon frère à l'intérieur, poussé à bout j'ai piqué une crise d'affolement et d'indignation et c'est là qu'ils ont fini par céder. Après un examen initial, on a commencé par me mentir sur la nature de la balle qui a atteint mon frère", affirme Chawki, et de reprendre :"le médecin s'est empressé, par la suite, de coudre la plaie sans lui retirer la balle, prétextant que l'opération peut lui provoquer une forte hémorragie."
Le frère indigné nous raconte, par la suite, qu'après plus de 20 jours d'hospitalisation, durant lesquels son frère fut trimballé d'un service à un autre, on a fini par le renvoyer chez lui, avec la même balle logée près de son cœur... "Personne ne voulait se mouiller. Si les blessures n'étaient pas mortelles, on faisait vite de renvoyer les blessés chez eux", explique le grand frère. Il nous apprend, également, que le médecin a refusé de signer, comme il se doit, la fiche d'admission et le certificat médical et que c'est uniquement suite à l'intervention du syndicat qu'il a fini par céder.
Encore une autre victime de ce vendredi rouge, le 24 décembre 2010, Alaa Hidri, un autre jeune garçon de 18 ans, poursuivant un baccalauréat littéraire également, il étudie dans le même lycée que Mohamed Amine. Et lui c'est dans le cou qu'est venue se loger la balle assassine des forces de l'ordre: " Il était 15h00 de l 'après-midi, quand un policier m'a tiré dessus à bout portant. La balle m'a atteint au niveau du cou et heureusement qu'elle a heurté une porte avant de m'atteindre, sans cela elle aurait été mortelle", nous raconte ce jeune garçon, avant de poursuivre son récit: "J'ai essayé de tenir le coup et de ne pas tomber par terre de peur que les policiers ne s'abattent sur moi, j'ai pu marcher une petite distance de 300 mètres avant de céder à la douleur. Des femmes me sont venues en aide et m'ont emmené chez ma tante à Menzel Bouzayen. Comme il était hors de question d'aller à un hôpital par peur des conséquences ou des représailles, on m'a conduit, par la suite, chez une autre tante au Snad où on a cousu ma plaie et on m'a soigné à coups d'antibiotiques. Cinq jours après, je me suis déplacé à Gabès pour effectuer une radiographie, un médecin là-bas est allé jusqu'à introduire son doigt, sans gants, dans ma plaie dans une vaine tentative de retirer la balle, cela m'a causé une grave hypoglycémie. Le soir-même on m'a conduit en urgence à la clinique "Ennejda" (le secours) à Sfax et c'est là qu'on m'a opéré. L'opération a duré 2 heures et au même moment, dans le bloc opératoire, une horde de flics attendaient que l'on retire la fameuse preuve. Durant les cinq jours de mon hospitalisation dont les frais se sont élevés à 3.000 dinars, des membres de la garde nationale et de hauts fonctionnaires de la police sont venus réclamer la balle, ils sont allés jusqu'à me soudoyer avec de l'argent. Mais rien n'y a fait, je leur ai dit que ce qui était à l'intérieur de mon corps m'appartenait. Cette balle je la conserve toujours, un autre jour je l'encadrerai, ça sera le souvenir de cette glorieuse révolution qui a libéré notre pays du joug de la dictature."
Alaa nous a raconté qu'en ce même jour, son oncle Chaouki Hidri est décédé suite à des blessures par balles réelles tirées dans le dos et dans l'épaule, son ami Mohamed Ammari, qui a tenté de le sauver, est tombé sous les balles également.
Son oncle avec un autre blessé a été embarqué dans une voiture de police vers 17h00 de l 'après-midi et ce n'est qu'à 1h00 du matin qu'il les ont conduits à l'hôpital de Sfax. "Durant le trajet les policiers les ont battus à coups de matraque", souligne Alaa. Son oncle n'a pas survécu à ses blessures et sa dépouille a suscité un fort intérêt de la part de responsables de la police qui aspiraient à des funérailles discrètes. Sa famille et ses amis ont alors tout fait pour lui accorder un enterrement de martyr. L'ami du défunt, Mohamed Ammari, mort pour avoir voulu secourir son ami, n'a pas eu cette chance et c'est, "discrètement" que s'est fait son enterrement...
Quand la dignité vient avant le pain
Nous avons également fait la connaissance d'un groupe de jeunes personnes venues de Mazouna (une délégation de sidi Bouzid). En vérité, ce sont eux qui se sont adressés à nous dans l'espoir de se faire entendre et d'être pris en considération. Oussema, âgé de 20 ans, nous a parlé de la situation chaotique qui règne dans sa région, des abus de pouvoir, des corruptions commises par le gouverneur et ses sbires. "une usine de plastique assurant des emplois pour plus de 2.500 a été fermée et liquidée, il y a trois ans de cela, par la famille Trabelsi. Depuis, plusieurs familles se sont trouvées démunies, livrées à elles- mêmes sans aide aucune. Les responsables corrompus ne se refusaient rien et même les aides humanitaires et l'argent du soi-disant fonds de solidarité 26/26 y passait!" Le jeune Oussema, qui a dû abandonner ses études, pour subvenir à ses besoins, a ouvert, à une époque, une petite épicerie pour la fermer sitôt, à cause de la cupidité féroce de certains responsables qui venaient lui soutirer de l'argent.
"Nous ne céderons pas avant la démission des membres du gouvernement" lance l'un de ces jeunes hommes. "Notre problème n'est plus un problème de pain, nous n'avons pas confiance en les membres actuels du gouvernement, ce sont les restes de l'ancien gouvernement du 7 novembre, nous ne voulons pas d'eux", rétorque encore un autre.
On retrouve Chawki Slimani, il tenait à préciser que cette action émanait du peuple, sans la tutelle d'un quelconque parti politique. "En arrivant à Tunis, on s'attendait à ce qu'il y ait des concessions de la part des membres du gouvernement mais rien de tout cela et l'on continue à faire la sourde oreille. Nous sommes unis tous, malgré nos différences, autour d'un même objectif, à savoir le nettoyage du pays des restes de la dictature", et de poursuivre: "Nous voulons construire et surtout pas démolir."
On apprend par la suite qu'un groupe de manifestants est entré depuis lundi soir dans une grève de la faim. Les forces de sécurité ont bloqué, mercredi matin, les accès principaux de la kasbah, empêchant ainsi le ravitaillement en couvertures et nourriture des manifestants, cela a suscité l'irritation des manifestants qui ont tenté de forcer un barrage. La police a donc riposté, mercredi matin, en tirant à bout portant des grenades de gaz lacrymogène contre ces manifestants. On compte plusieurs blessés parmi eux...
Ces jeunes continuent, jusq'à aujourd'hui, leur rassemblement pacifique. Obstinés, rien ne semble les dissuader, pas même les propositions d'argent faites par certains sur la place, comme en témoigne une vidéo filmée sur les lieux. "l'argent n'achètera pas notre révolution, la dignité vient toujours avant le pain", clament-ils!


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