Que s'est-il passé réellement à la Kasbah le jour du 28 janvier 2011? Une question qui revient sans cesse aujourd'hui... parce que l'on n'a pas eu droit à notre part de vérité et de transparence, parce que le peuple tunisien ne peut plus se contenter de versions bouche-trou que l'on sort à tout-va et qui dans la plupart des cas se trouvent confirmées par nos médias : qui a lancé les hostilités ce jour-là ? Est-ce les manifestants ou les habitants des quartiers voisins qui en avaient assez de leur présence ? Ou est-ce une toute autre réalité que nous cachent les faits ? Retour sur les faits. Le matin du 28 janvier 2011, nous sommes à la place de la Kasbah pour récolter les réactions des manifestants, après la nomination des nouveaux membres du gouvernement. La place semblait assez calme. Nous nous approchons d'un groupe de jeunes de Menzel Bouzayan: "Nous ne sommes pas satisfaits. Nous ne voulons pas de Ghannouchi, nous ne voulons pas des restes de l'ancien régime", rétorque Hassib, un jeune technicien supérieur au chômage et de reprendre : "Nous avons également exigé notre représentativité au sein des comités du nouveau gouvernement mais rien de tout cela!". Ces jeunes, dont la discussion révélait un bon sens qui venait narguer "le manque de civisme" que certains se plaisaient à leur attribuer, comptaient rentrer chez eux car ils s'exposaient à un grand danger. Déjà, des bruits circulaient dans la place sur une éventuelle attaque des Bop qui ont commencé à assiéger la place tôt le matin. "Les gens d'ici ne veulent plus de nous, certains nous ont insultés. Nous devons nous retirer, sortir la tête haute", avance Chawki Slimani, un jeune rencontré les premiers jours de la "caravane de la liberté". "Notre lutte, nous la poursuivrons chez nous et nous ne lâcherons pas prise !" A 14h00, les militaires commençaient à se retirer. Ils retirent les soldats pour envoyer leurs chiens de policiers" lance, alors, une voix. Celle d'une vieille femme drapée de son sefsari. "Vous avez tout saisi, Hadja!", lui répond un des soldats. Un nœud dans le cœur Un nœud dans le cœur, nous nous retirons également, l'air empestait déjà l'angoisse et la tension. Sur le chemin, pas loin de l'hôpital Aziza-Othmana, la présence suspecte de jeunes adolescents qui ont surgi de nulle part nous interpelle. Placés derrière les tentes de soins, ils ne tardent pas à se munir de gros cailloux pour les lancer en direction de la foule... Dans les ruelles environnantes, les gens commencent à vider les lieux dans un mouvement de panique générale... Arrivés à l'avenue Habib-Bourguiba, c'est un décor de contraste que nous rencontrons, les gens étaient installés paisiblement dans les terrasses de café, profitant des caresses du soleil, ne se doutant pas du massacre qui se préparait à la Kasbah. Jusqu'à ce que l'odeur de lacrymogène, vers 18h00, 18h30, vienne les arracher à leur calme. Une partie des manifestants, évacués de la Kasbah et pourchassés par les Bop, se dirigeait vers la grande avenue. Suivis de plus près par les Bop, ils continuaient à scander des slogans et passaient, aux yeux des moins avertis, pour de simples manifestants de passage (comme on en voit quotidiennement). D'autres jeunes "Tunisois" présents sur les lieux, dans un mouvement de soutien, se joignent à eux. Une rafale de bombes lacrymogènes lancées par les Bop finit par terroriser la foule qui a commencé alors à vider, bruyamment, les lieux. C'était digne d'un carnaval noir, les grenades lacrymogènes qu'on devait confondre avec des feux d'artifice fusaient de partout. Il faut dire que les brigades de l'ordre public se sont déchaînées, ce jour-là, et pour une raison qui semble tenir de l'ordre du psychisme ils se sont mis à tirer leurs grenades lacrymogène à tout bout de champ, même quand la rue était vide (au risque de s'étouffer eux-mêmes!). Un fort sentiment de déjà-vu régnait dans les environs, et les quelques jours de calme qui ont laissé croire à un retour à la "normale" ont cédé la place aux vieux démons et aux vieilles peurs. Que s'est-il donc passé pour qu'on s'en prenne à des manifestants usés et fatigués ? Pourquoi recourir à tant de violence ? Et si c'était uniquement les manifestants qu'on pourchassait, pourquoi alors s'en prendre à tous les passants ? Pourquoi terroriser toute la rue? On apprendra par la suite que la réalité est très relative et que la maquiller est devenu courant dans notre honorable paysage médiatique. L'information n'est-elle pas sacrée, ne devrait-on pas la livrer telle qu'elle se présente, et dans le cas de sources dubitatives, ne devrait-on pas s'en assurer? "Emeutes à la Kasbah, les forces de l'ordre ont confisqué des armes blanches chez les manifestants de la “caravane de la liberté”", a-t-on entendu dans les premiers titres du journal télévisé de la Chaîne nationale, des images et des témoignages manquaient alors à l'appel, ce qui ne faisait que discréditer cette information. Sur Nessma, le ton était à la polémique et la vidéo partiale qu'on nous a présenté, le soir même, ne faisait pas l'unanimité sur le plateau, causant l'écart des plus récalcitrants. Nos médias se font-ils manipuler, ou est-ce un retour en force des vieux réflexes ? La question reste en suspens. Mais revenons, pour le moment, à ce 28 janvier. Pour essayer de déceler, un tant soit peu, l'intox de l'info, nous nous sommes intéressés à des témoignages in situ de personnes qui se trouvaient sur les lieux au moment des faits. Et c'est encore une fois grâce à Facebook, dans ce foisonnement d'infos, que nous avons eu droit à plus de transparence et que nous avons pu contacter ces témoins.