Par M'hamed JAIBI Mal élue, impliquée, partie prenante et agissante de l'ancien régime, la Chambre des députés n'a pas été épargnée en termes de qualificatifs depuis la fuite de Ben Ali et la chute de son régime dictatorial corrompu. Cela n'empêche que, voulant inscrire la révolution démocratique dans un cadre constitutionnel, le président par intérim et le gouvernement provisoire ont fait, hier, appel à elle pour qu'elle habilite le chef de l'Etat actuel à prendre des décrets-lois, lesquels ne seront soumis à l'approbation du pouvoir législatif qu'après des élections démocratiques et transparentes rétablissant la souveraineté populaire sous la forme d'un Parlement représentatif démocratiquement élu. Le siège de la Chambre au Bardo, pris d'assaut par des groupes de jeunes manifestants, a dû être sécurisé par l'armée nationale à grand renfort de barbelés, afin que les députés de l'ancien régime puissent y accéder sans dommages, autres que les significatifs slogans scandés‑: «Pain et eau, RCD non‑!», «Dégagez, pourris‑!»… Le projet de loi, présenté conformément aux dispositions de l'article 28 de la Constitution qui autorise les deux chambres parlementaires à accorder au président de la République une délégation l'habilitant «dans une situation précise et pour un temps déterminé», à prendre des décrets-lois, a été adopté à une forte majorité. Le recours à l'article 28 s'explique par le besoin d'une accélération de la promulgation de textes législatifs conformes aux grands objectifs de la Révolution démocratique. Les décrets-lois, qui ont une force égale aux lois votées par le Parlement, sont en mesure d'abroger des textes jusque-là en vigueur et pourront ainsi configurer les outils législatifs nécessaires à une affirmation conséquente de la souveraineté populaire pour laquelle sont morts tous ceux qui sont tombés dans cette révolution de la dignité et de la liberté. Citons notamment le Code électoral et l'amnistie générale. Le vote obtenu hier au Bardo, et qui devra être confirmé par un vote similaire, demain, de la part de la Chambre des conseillers, donne au président de la République par intérim tous les moyens constitutionnels lui permettant de légiférer au service de la volonté populaire de changement démocratique radical et de mener à bien sa mission consistant en l'organisation d'élections pluralistes sans exclusive, parfaitement transparentes et irréprochablement démocratiques. Par ce vote favorable à la volonté de changement révolutionnaire exprimée haut et fort par un peuple déterminé à en finir avec l'ère des dictatures, la Chambre des députés a accepté de se mettre en veilleuse. En investissant le président intérimaire de ses prérogatives de législateur, elle tire sa révérence et s'incline devant la volonté populaire. Dans la mesure où la Constitution n'autorise pas le président de la République par intérim à dissoudre les chambres parlementaires, ce vote est un arrangement à l'avantage du processus révolutionnaire qui fait d'une pierre deux coups: doter le président des moyens à même de garantir le changement radical exigé et tourner définitivement la page des chambres mal élues conçues comme les courroies de transmission d'un pouvoir unicéphale totalitaire et mafieux.