Par Abdelkrim HIZAOUI * Une nouvelle Tunisie émerge sous nos yeux émerveillés par l'extraordinaire sursaut populaire qui a abattu la dictature et rétabli la dignité du Tunisien en tant qu'homme libre et citoyen. Cette Tunisie en projet se cherche, cafouille, improvise et se construit au sein d'un espace public réinventé, où les médias classiques relaient les mouvements populaires et Facebook articule et agrège les mouvements d'opinion au sein d'une communauté qu'on hésite à qualifier de « virtuelle» tant ses membres se connaissent plus ou moins dans la vie réelle. Après les années «langue de bois», les Tunisiens découvrent avec délectation la médiatisation spontanée de la parole gouvernementale et les ministres en découvrent les risques. Les ministres de l'Intérieur puis des Affaires étrangères en ont fait l'amère expérience, leur réputation d'intégrité et de compétence n'a pas suffi à compenser le ratage de leur examen de passage à la télévision. Désormais, pour les responsables politiques, la maîtrise de la communication politique est aussi vitale que celle des dossiers. Dans une accélération de l'histoire dont seules les révolutions ont le secret, les trois chaînes nationales de télévision s'érigent en agora cathodique où s'exerce une forme moderne de démocratie directe et qui devient le lieu du contre-pouvoir. Rappelons que c'est à la télévision que le doyen Sadok Belaïd a dénoncé, le 14 janvier, l'invocation de l'article 56 de la Constitution, obligeant le Premier ministre à se rétracter et à appliquer l'article 57 qui consacre la vacance du pouvoir et met un terme au mandat du président déchu. Refondation Mais les médias libres et influents sont aussi des médias responsables. Il est donc urgent de réfléchir à la mise en place de nouveaux mécanismes permettant à la fois de garantir l'indépendance des médias et d'assurer qu'elle ne s'exerce ni contre l'intérêt public ni contre les droits légitimes des personnes. Il s'agit là d'un défi majeur à la nouvelle République, car on n'est plus dans une logique de réforme, mais de refondation. On n'a guère le choix : il faut faire table rase du système existant et en inventer un autre. Les textes actuels, à commencer par le code de la presse, ont été conçus pour système révolu. Les rares textes régissant l'audiovisuel sont indigents et le cadre juridique des médias de l'Internet est introuvable. Tout le droit tunisien de la communication est à faire ou à refaire : les garanties juridiques de la liberté d'expression et du droit à l'information, le statut des entreprises et des agences de presse, la régulation de l'audiovisuel public et privé, la presse en ligne, le statut des journalistes, le régime juridique des sondages d'opinion et des études d'audience, etc. Vaste chantier qui, par son ampleur, aura du mal à trouver sa place dans l'agenda de la Commission des réformes politiques présidée par M. Iyadh Ben Achour. Après la suppression du ministère de la Communication, quel cadre pourra donc abriter la réflexion stratégique sur le secteur de la communication ? On peut bien entendu se tourner du côté du Conseil supérieur de la communication, mais dans son état actuel, il fait davantage partie du problème que de la solution. Ce serait plutôt une conférence nationale sur l'avenir de l'information et sur la nouvelle configuration du paysage médiatique tunisien est à envisager d'urgence. En présence des professionnels des médias, des partis politiques et des acteurs de la société civile, cette conférence aura à dégager les grandes orientations et à faire émerger les points de consensus. A la lumière de ces résultats, les experts pourront ensuite prendre le relais et entreprendre la refondation du système médiatique tunisien. Et ne soyons pas modestes, imaginons un espace médiatique ouvert à l'ensemble arabe, la Tunisie est bien placée pour abriter une «media city» florissante, conforme à sa tradition pionnière en matière d'information et de communication. La liberté d'expression et de presse est aussi un argument commercial précieux, nul doute que les investisseurs et les promoteurs des médias y réfléchissent déjà. Sachons leur offrir le cadre attractif qui fera de la Tunisie un pôle régional des industries de l'information et de la communication.