Tantôt ouatées, tantôt pimpantes et poudrées d'or, les compositions de l'artiste célèbrent un monde empreint d'un lyrisme échevelé, presqu'exalté mais toujours tourmenté par les lois de l'écosytème Après une absence qui l'a tenu éloigné, cinq ans durant, des cimaises et des ambiances picturales, Zoubeïr Lasram est enfin de retour, tel le fils prodigue, dans une exposition intitulée Hymne à la nature. Elle se déroule à la galerie Nour, au complexe El Bouhaïra. Docteur en histoire de l'art, une discipline qu'il enseigne à l'école des Beaux-Arts, Zoubeïr Lasram s'est donc permis un congé sabbatique, en quelque sorte, un temps de réflexion purificatoire, nécessaire pour rendre moins trouble, moins opaque, la vision qu'il a de l'art en Tunisie et pour comparer ses travaux actuels avec ceux des périodes précédentes. Préserver la nature Avec Zoubeïr Lasram, nous voilà face à un art à la fois très pensé et empreint d'intellectualité. Dans ses 25 toiles, de différentes dimensions, il pousse très loin l'objet de sa recherche et ne refuse pas l'aventure de la main. Son pinceau va au-delà de l'apparence et reflète une expression personnelle où se devine une jouissance de peindre, sans cesse renouvelée. Les accentuations soudaines du rythme de l'écriture, ses brisures, ses dilatations contiennent un pouvoir de rayonnement d'une efficacité très directe. Les couleurs, libérées de toute représentation, deviennent des énergies dont la tension, les contrastes et, aussi, les accords créent des variations rigoureusement calculées. Une œuvre qui se lit et se voit comme une litanie de tensions et une accumulation de véhémences contenues. Dédaignant notre monde d'aujourd'hui où les espaces verts sont de plus en plus menacés par les avancées du béton, il régule son action par un équilibre écologique qui préserverait la nature en s'attachant essentiellement à travailler la faune et la flore (Singes, oiseaux, poissons, roses, iris, coquelicots, herbacées à fleurs rouges et oliviers) par le biais du «Harf» (le signe «libéré» et non calligraphié) qui se présente comme le lieu idéal pour un voyage idéal de l'esprit dans une géographie de l'âme. Ses grands aplats, ceux de la période actuelle, renouvellent le discours entamé par les signes qui doivent exprimer l'éternité dans le silence. Chaque toile ou signe, ici, est un symbole et on entre, peu à peu, dans ce travail très exigeant, où l'imaginaire rejoint la réalité dans un hymne à la gloire de la protection de la nature, reflet des préoccupations de l'artiste, de ses interrogations, de ses angoisses, de ses rêves. Peintre visionnaire, Zoubeïr Lasram nous propose une peinture où s'épanouit son lyrisme intérieur. Un univers de forêts, d'oasis, de fleurs, d'arbres bourgeonnants annonçant le printemps. Est-ce un rêve? Non, ce n'est pas tout à fait la saison. C'est une œuvre de l'artiste qui achemine sa peinture sur les sentiers de la poésie. On y trouve parfois un rapace aux ailes largement déployées, survolant une forêt agonisante, un singe méditant sur la médiocrité des humains parce qu'inquiet sur le sort de la nature, des oliviers, témoins du passé, à la sève oléicole presque tarie. Le spectacle, sans cesse renouvelé d'une nature presque moribonde, fournit une manne prolixe de sujets d'interrogation à son esprit lucide. Usant d'une technique chère à certains artiste naïfs, il peint des paysages empreints d'une sensibilité surprenante. Sa justesse du trait, sa finesse d'observation font de ses compositions de vrais miroirs de poésie. En bref, Zoubeïr Lasram traque sans relâche l'insolite et le déroutant dans notre quotidien. Sa peinture nous surprend beaucoup et nous donne à réfléchir. Adel LATRECH * L'exposition Hymne à la nature de Zoubeïr Lasram se poursuivra jusqu'au 20 mars à la galerie Nour, complexe El Bouhaïra, Tunis