• Les derniers événements qui ont secoué la Tunisie, et qui ont mené à la fuite de Ben Ali et de Leïla Trabelsi, semblent avoir libéré la plume de l'auteur en lui inspirant cet ouvrage qui s'intéresse à la Tunisie depuis l'Indépendance. Les ressources politiques, la légitimation et les régulations sociales y sont minutieusement disséquées. C'est donc à l'ensemble de cet exercice que Mahmoud Ben Romdhane, professeur des universités en économie, s'est essayé La Tunisie du dernier demi-siècle du XXe a fait l'objet, dans cet ouvrage, d'une investigation détaillée et soignée où l'auteur a placé le pays en perspective comparative avec les autres régions et les autres pays du monde. Ici, la Tunisie est inscrite dans une approche multidimentionnelle : économique, sociologique, politique. C'est le chemin difficile, mais nécessaire à la compréhension tant de la particularité que de la cohérence d'ensemble du fonctionnement du système, mais également des continuités et des ruptures entre la période de Bourguiba et la période actuelle. La démocratie, levier de tout renouveau Contrairement aux thèses et aux théories en vogue, soutenant la vision d'un pouvoir aux pieds d'argile, jouant de «fictions» ou de «dessous de cartes», ne serait-on pas au contraire en présence d'un pouvoir disposant de ressources politiques avérées et de grandes réserves, mais tenant également entre les mains de puissants mécanismes de régulation des agents sociaux ? Si tel est le cas, la permanence de l'autoritarisme et de l'exercice de la coercition n'apparaît pas comme la réponse à un déficit de ressources et de légitimité. Elle doit être expliquée autrement. Là aussi, ce ne sont ni les thèses essentialistes et culturalistes en vogue (l'attachement obsessionnel à une culture et à des valeurs désuètes non démocratiques), ni des thèses de l'insuffisante modernisation qui peuvent être d'un réel secours. Seul, le recours à l'histoire, aux processus en cours, aux intérêts constitués est à même de percer l'énigme. Parmi toutes les analyses menées, l'auteur est parvenu à la conclusion que ce qui a déclenché les mouvements sociaux qui ont mis fin au régime de Ben Ali, l'érosion de bon nombre de domaines sur lesquels repose tout l'édifice économique et social du pays. De la confusion, de la concentration et de la monopolisation des pouvoirs, de la volonté d'exercer un contrôle serré sur la société, du non-respect de la règle de droit, de l'expansion des activités illicites et des privilèges immenses octroyés au clan familial, naissent les fléaux qui ont pour nom le sentiment de l'inutilité et le désintérêt à l'égard du bien public, et lorsque les horizons se resserrent, le désespoir s'installe. De ce point de vue-là, ce sont les ressources humaines de la Tunisie, son bien le plus précieux, qui sont exposées à une dégradation spectaculaire de la qualité des acquis de tous les niveaux de l'enseignement et, même, de la santé. L'auteur a bien diagnostiqué tous les phénomènes à l'origine du désagrègement de tous les secteurs de la société, de la mal gouvernance, ainsi que du déficit de confiance observé dans un pays où la démocratie et les libertés font défaut. Et justement, à propos de démocratie, il conclut : «L'ensemble du monde arabe se trouve prisonnier de la trappe autoritaire. Mais la Tunisie est l'un des pays où la modernité a le plus progressé. Un des pays où une démocratie réelle et stable a le plus de chances de fleurir… Le renouveau de la Tunisie ne sera pas seulement le sien, il peut être le levier du renouveau du monde arabe et musulman. Parce qu'aucune terre, aucun peuple ne sont, par essence, inhospitaliers à la démocratie et parce que tout simplement tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité». ———————————— Tunisie : Etat économique et société de Mahmoud Ben Romdhane, Sud Editions - Tunis-janvier 2011