Tunisie, Etat, Economie et Société, tel est l'intitulé du dernier ouvrage de M.Mahmoud Ben Romdhane, professeur des universités en économie. Publié en janvier à l'aube de la révolution tunisienne, le livre s'intéresse à la Tunisie, sous les trois angles précités, depuis l'Indépendance et tente d'identifier les causes qui ont fait que le pays n'ait pu échapper au régime autoritaire durant plus d'un demi-siècle. L'auteur met le doigt sur le coût de la non-démocratie qui se révèle plutôt élevé et analyse, notamment, les ressources politiques du pouvoir, à savoir «sa capacité et ses manières de créer, distribuer et redistribuer les richesses, ses processus de légitimation et ses mécanismes de régulation des acteurs sociaux». L'auteur du livre précise dans l'avant-propos que l'ambition n'était pas de rendre compte de toutes les dimensions des trois champs cités et que la problématique générale s'articule, plutôt, autour de trois questions clés, à savoir‑: pourquoi plus d'un demi-siècle après l'Indépendance, la Tunisie continue-t-elle à vivre sous le régime autoritaire ? Dans quelle mesure et comment a-t-elle engendré des richesses, des revenus ? Dans quelle mesure et comment a-t-elle assuré une distribution et une redistribution de ces revenus ? Il note, par ailleurs, que cet ouvrage était une monographie de la Tunisie du dernier demi-siècle, précisant que c'était une monographie ouverte sur l'universel car «chaque question traitée est éclairée par le savoir constitué à son propos à l'échelle mondiale». Dans cet ouvrage, l'auteur consacre une partie à chacune des questions posées par la problématique. La première grande partie du livre est consacrée à la persistance de l'autoritarisme en Tunisie, on y trouvera notamment une identification des thèses à portée générale qui pourraient expliquer l'autoritarisme dans notre pays, des thèses à prétention académique qui s'intéressent au cas tunisien et justifient son maintien dans cet état. On y trouvera, également, une analyse alternative pour expliquer le phénomène autoritaire en Tunisie. La deuxième partie du livre s'intéresse aux politiques économiques qui se sont succédé en Tunisie depuis l'Indépendance et aux modalités de mobilisation de l'investissement. L'auteur dresse, à cet effet, un tableau de la situation de départ et rend compte de l'immensité des défis à relever pour sortir le pays de la dépendance coloniale et du sous- développement qui le caractérisaient. Il présente ensuite les différentes politiques économiques dont a bénéficié la Tunisie, les réalisations accomplies et les échecs enregistrés ainsi que les nouvelles questions posées. Cette deuxième partie se penche également sur la formation du capital humain et la gestion stratégique des ressources humaines et présente la politique adoptée par la Tunisie à ce propos, ainsi que sur les résultats obtenus en termes de croissance économique. Après une analyse globale de cette croissance, cette dernière est articulée par rapport aux facteurs qui lui ont donné naissance, en l'occurrence le capital physique, le capital humain et la productivité totale des facteurs. La troisième partie du livre passe en revue et analyse les politiques sociales depuis l'Indépendance; l'auteur de l'ouvrage précise qu'après avoir évalué l'importance des transferts sociaux par comparaison avec les autres pays du tiers monde, le livre commence par poser la question des fonctions attachées aux politiques sociales dans la régulation d'ensemble et établit, sur cette base, une périodisation. L'auteur conclut que toutes les analyses conduites dans le cadre de cet ouvrage montrent que la Tunisie souffrait d'une érosion manifeste dans plusieurs domaines qui fondent son progrès économique et social et cimentent sa société. «A la base de cette érosion multiforme, on retrouve les même causes : le délitement des institutions et la question centrale de la gouvernance. De la confusion, de la concentration et de la monopolisation des pouvoirs, de la volonté d'exercer un contrôle serré sur la société, du non-respect de la règle de droit, de l'expansion des activités illicites et des privilèges immenses octroyés à un petit nombre, naissent les fléaux qui ont pour noms le sentiment de l'inutilité et le désintérêt vis-à-vis du bien public», précise-t-il encore. L'auteur relève, en outre, que les ressources humaines de la Tunisie, son bien le plus précieux, sont exposées à une double contrainte, à savoir d'une part une dégradation de la qualité des acquis à tous les niveaux de l'enseignement et l'absence totale de perspectives d'emploi de l'autre. Il ajoute que l'autre facteur de croissance économique qui souffre d'une érosion manifeste est l'investissement en capital physique, précisant que depuis le milieu des années 1990, l'investissement privé domestique est en repli et que depuis le début des années 2000, c'est l'investissement global qui prime. L'auteur se réfère pour expliquer cette tendance à la Banque mondiale et cite «les faiblesses de gouvernance économique, en particulier concernant la prévisibilité et la transparence du cadre réglementaire ainsi que la contestabilité des marchés, l'incertitude réglementaire, l'intervention fortement discrétionnaire de l'Etat, le traitement spécial dont jouissent des individus bien connectés». Il relève, en outre, que ce ne sont pas seulement le capital humain, le capital physique et la croissance économique qui étaient atteints d'une érosion et que les secteurs sociaux sont également affectés par ce processus, citant notamment l'inefficacité des efforts déployés en matière de lutte contre la pauvreté, les failles du système de santé et l'exclusion de certaines catégories sociales.