• Cet ouvrage, qui vient de paraître chez «Sud Editions» en mars 2011 a fait récemment l'objet d'une présentation commentée à Sophonisbe à Carthage, par les professeurs Hamadi Redissi (partie politique) Hakim Ben Hammouda (partie économique) et Abdelkader Zghal (partie sociale). Dans ce livre, Mahmoud Ben Romdhane (professeur en économie, consultant auprès des institutions internationales du système des Nations unies, acteur de la société civile et de l'opposition démocratique en Tunisie et défenseur des droits humains et enfin président de la section tunisienne, membre puis président du Comité exécutif international d'Amnesty international) s'est livré à une amère réflexion sur l'histoire de son pays depuis l'Indépendance, dans les domaines économique et politique. Cette analyse s'articule autour de trois questions-clés : pourquoi la Tunisie continue-t-elle de vivre, plus d'un demi-siècle après l'Indépendance, sous un régime autoritaire? Dans quelle mesure et comment a-t-elle généré autant de richesses? Et par quels mécanismes a-t-elle procédé pour répartir et distribuer ces revenus? Dans cette monographie ouverte sur l'universel, chacun des trois domaines traités se trouve fixé dans un cadre plus général en perspective comparative avec les régions du pays et, par extension, du monde. La Tunisie est également placée dans une approche multidimentionnelle où l'économie, la sociologie et le politique sont intimement liés. «C'est, écrit-il, le chemin difficile, mais nécessaire à la compréhension tant de la particularité que de la cohérence d'ensemble du fonctionnement du système mais aussi des continuités et des ruptures entre deux périodes : la bourguibienne et l'actuelle». A la lumière de ces données, l'auteur a établi trois chapitres pour étayer ses thèses. Le premier est consacré aux théories qui peuvent servir de référence pour expliquer le phénomène de l'autoritarisme tunisien. Le deuxième traite de thèses à prétention académique qui s'intéressent au cas tunisien pour justifier le maintien de l'autoritarisme. Le troisième chapitre appréhende et analyse ce phénomène en tant que processus historique. L'alternative démocratique est l'antidote absolue contre le totalitarisme exerçant une mainmise sur pratiquement toutes les libertés publiques et les activités individuelles du pays. Et si la démocratisation a gagné tous les Etats ou presque de la planète, à commencer par ceux de l'ancien camp soviétique, l'ensemble de l'Amérique latine et même un nombre notable de pays d'Afrique subsaharienne et d'Asie, le monde arabe, lui, s'est montré hostile à ce courant. Bernard Lewis, un des meilleurs spécialistes contemporains de l'Islam, estime que si la zone géoculturelle appartenant au monde arabe est demeurée réfractaire au vent de la démocratie c'est parce que l'essence même de l'Islam est organiquement différente de toutes les autres en ce sens qu'elle ne fait aucune distinction entre le temporel et le spirituel (din wa dawla). En vérité, le politique est soumis au religieux parce que la seule source de la loi et de l'autorité est le Coran. Beaucoup de facteurs explicatifs de l'autoritarisme arabe caractérisent la Tunisie, excepté une évidente modernité qui s'est manifestée dès la fin du XIXe siècle et qui a singularisé notre pays. A ce titre, la Tunisie n'a pas eu à subir ou à s'attirer les foudres des instances internationales mais souvent des rappels publics à l'ordre. Comment peut-il en être autrement lorsque suite à l'«Appel du 12 avril 1977, pour le respect des libertés publiques en Tunisie» signé par 168 intellectuels et artistes, la première Ligue des Droits de l'homme en Afrique et dans le monde arabe venait d'être créée ? L'année 1981 sera solennellement proclamée celle de l'accession de la Tunisie au statut de pays digne de démocratie. Le pays venait de prouver à la face du monde qu'il avait atteint le seuil lui permettant de tourner le dos à l'autoritarisme et de faire de la démocratie son présent et son destin. Hélas, ce succès euphorisant et stimulant n'était en fait qu'une accalmie, un répit de courte durée, annonciateur d'une longue torpeur qui va se poursuivre trois décennies encore jusqu'au jour béni du 14 janvier 2011, une éclaircie dans le climat politique vicié par la dictature de Ben Ali qui, par un phénomène concomitant, a fait le lit au mouvement Ennahdha en lui conférant une immense légitimité. Mahmoud Ben Romdhane a consacré de larges extraits à la parenthèse islamiste et à son leader Rached Ghannouchi qui, grisé par le triomphe du FIS en 1991, se rend en Algérie d'où il annonce son programme définitif pour la Tunisie qui stipule que «la loi doit être établie par les ulémas, les femmes doivent porter le voile, le tourisme doit être supprimé, les prêts bancaires ne doivent plus comporter d'intérêt et enfin la nation musulmane doit être, sauvée du péril de l'aliénation culturelle». Rached Ghannouchi sera expulsé d'Algérie, ainsi que huit autres islamistes tunisiens en décembre 1991, mois au cours duquel le FIS remporte une victoire éclatante. En guise de conclusion générale, l'auteur écrit, «La Tunisie suscite aujourd'hui d'immenses interrogations, elle ouvre de nouveaux horizons aux possibles décompressions autoritaires, voire à la transition démocratique dans l'ensemble du monde arabe. La Tunisie est l'un des pays où la modernisation et la modernité ont le plus progressé, l'un des pays où une démocratie réelle et stable a le plus de chances de fleurir. Le renouveau de la Tunisie ne sera pas seulement le sien. Il peut être le levier du renouveau du monde arabe et musulman. Parce qu'aucune terre, aucun peuple ne sont, par essence, rebelles à la démocratie et parce que tout simplement tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité».