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Le livre « explosif » de Mahmoud Ben Romdhane sur l'état autoritaire en Tunisie Interdit de publication sous Ben Ali, « Tunisie, Etat, économie et société »*
Il paraît, d'après ses éditeurs, que le dernier ouvrage de Mahmoud Ben Romdhane, « Tunisie : Etat, économie et société », fut l'objet d'une interdiction de publication sous Ben Ali. A la lecture du livre, nous avons compris dès son introduction les raisons de cette censure. En effet, l'une des questions essentielles auxquelles l'auteur tente d'apporter réponse est de savoir pourquoi la Tunisie continue de vivre sous le régime autoritaire, plus d'un demi-siècle après son indépendance. Mahmoud Ben Romdhane s'interroge également sur l'origine des richesses tunisiennes et si les revenus de ces richesses sont répartis avec équité entre l'ensemble de la population ou seulement entre une minorité de privilégiés. Pourquoi encore le régime autoritaire ? Dans la première partie consacrée à la compréhension de la permanence du régime autoritaire depuis l'ère bourguibienne jusqu'à la fin du règne de Ben Ali, l'ouvrage passe d'abord en revue et critique les thèses susceptibles de justifier l'autoritarisme qui a prévalu durant toute cette période de l'histoire de la Tunisie. Il s'agit pour l'auteur de dévoiler la nature et la réalité du pouvoir, l'effectivité de ses ressources politiques, d'identifier les forces qui l'animent et les mobiles de celles-ci. Examinant dans un premier temps les thèses à portée générale qui pourraient justifier l'autoritarisme tunisien, en particulier celle qui soutient que c'est un facteur de développement économique et social et de modernisation et celle qui met en avant l'imperméabilité des sociétés arabo-musulmanes à la démocratie, Mahmoud Ben Romdhane bat en brèche les deux postulats et démontre que la Tunisie était et est « mûre » pour une transition démocratique. Il prouve ensuite la faiblesse sinon le non-fondé de l'argument selon lequel la majorité des Tunisiens avaient fini par s'accommoder du pouvoir autoritaire, par l'accepter et même par le désirer. Dans le troisième chapitre du livre, l'auteur revient plutôt sur les conditions historiques et politiques qui ont entravé l'évolution du pays vers la démocratie : entre autres les tendances autoritaires du Néo-Destour, la mise en place et le renforcement de l'Etat-Parti unique aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali, l'argument sécuritaire pour soi-disant combattre l'avancée des Islamistes, la répression policière, la domestication des institutions de la société, les appareils coercitifs omnipotents, la création d'une nouvelle classe de profiteurs déterminée à empêcher toute velléité démocratique et égalitaire afin de bénéficier, dans l'impunité totale, de ses privilèges multiples. Processus bancal de la croissance La deuxième partie de l'ouvrage se penche sur les politiques économiques suivies en Tunisie, sur la croissance du pays et les différents obstacles auxquels elle s'est heurtée depuis l'indépendance jusqu'à nos jours. Tout en reconnaissant les acquis réalisés tant à l'époque de Bourguiba que sous Ben Ali, Mahmoud Ben Romdhane souligne également les échecs essuyés par les politiques économiques des deux règnes. En évaluant l'ère libérale, il retient surtout que durant le dernier quart de siècle et en dépit d'une croissance apparente, le taux de chômage est resté très élevé et qu'une nouvelle catégorie de sans emploi était née parmi les diplômés du Supérieur. Nos exportations sont restées pour l'essentiel confinées dans des secteurs en déclin et de bout de chaîne. De plus, l'investissement s'est ralenti depuis le milieu des années 1990 en raison surtout, affirme l'auteur, de l'affaiblissement de l'état de confiance, de la diffusion de pratiques économiques illicites, du traitement spécial réservé à des « individus bien connectés ». L'érosion du capital humain dans les écoles et les universités et la baisse manifeste du niveau de la formation des élèves et des étudiants ont parachevé l'ébranlement du processus de croissance. Un régime sourd aux inquiétudes et aux préoccupations du peuple Dans la dernière partie de l'ouvrage, intitulée « Les politiques sociales : une perspective politique », Mahmoud Ben Romdhane tente d'expliquer l'importance de transferts des revenus, leur évolution et leur contenu l'histoire depuis l'indépendance de notre pays. Il dégage pour cela quatre grandes phases correspondant à des politiques économiques et sociales distinctes. Cependant, il étudie distinctement les politiques sociales adoptées de 1987 à nos jours pour remarquer que durant l'ère Ben Ali, les progrès sont plutôt faibles et parfois inexistants, que ce soit au niveau de la santé publique, la couverture sociale ou la résorption de la pauvreté. Durant ces années-là, l'exclusion sociale et régionale a été érigée en système et les revenus sont de plus en plus mal répartis. Mahmoud Ben Romdhane dénonce par ailleurs l'aspect clientéliste de l'assistance sociale, clientélisme qui s'est renforcé sous Ben Ali au point de devenir le pivot du système de l'Etat-Parti. L'auteur termine en constatant que l'ordre autoritaire et sécuritaire imposé par le régime était trop sûr de lui, suffisant et indifférent aux inquiétudes et aux préoccupations des gens. « L'ordre-contrôle, ajoute-t-il, qui se maintient pendant trop longtemps ne génère pas seulement l'inefficience ; parce que détaché de la société, sourd aux angoisses des gens, accumulant et aggravant, des problèmes d'une extrême importance. La vitesse quasi astronomique du chômage des diplômés continuera inexorablement d'augmenter au cours des quatre ou cinq prochaines années, jetant des dizaines de milliers de jeunes chaque année dans le désespoir, est l'illustration de ce phénomène. Education, santé, emploi, éradication de la pauvreté, qu'est-ce que, autrement, le développement social ?» L'auteur Puissent donc notre gouvernement provisoire et tous nos prochains gouvernements de l'après-révolution retenir la leçon de ce livre très instructif et très courageux, écrit –rappelons-le, avant la chute de Ben Ali. Son auteur, Mahmoud Ben Romdhane, est professeur des Universités en économie ; il a dirigé ou participé à une quinzaine d'ouvrages et publié des dizaines d'articles sur la Tunisie, l'Afrique, le monde arabe et l'Euro méditerranée. Il est également consultant, notamment auprès des institutions internationales du système des Nations Unies. M. Ben Romdhane est un acteur de la société civile et de l'opposition démocratique en Tunisie et défenseur des droits humains : il fut Président de la Section tunisienne, membre puis Président du Comité Exécutif d'Amnesty International. Badreddine BEN HENDA *«Tunisie, Etat, économie et société », de Mahmoud Ben Romdhane, Sud-Editions, Tunis 2011, prix public : 18 dinars tunisiens