«Indonésien par sa naissance, tunisien par son ascendance, français et catholique dans le milieu scolaire, turc par nécessité, musulman toutefois, le jeune Kussaï Elmekki dut, à l'âge de onze ans, s'adapter à un nouveau climat à de nouveaux paysages, à de nouvelles mœurs, à un nouveau système scolaire et à une nouvelle famille. Il dut apprendre simultanément l'arabe dialectal, l'arabe littéral, le français et achever le cycle d'études primaires en trois ans. Au lycée, il étudiera le latin et l'anglais… Le récit de son enfance est celui d'un long cortège de séparations…» Des Elmekki, nous ne connaissons que l'intrépide, le provocateur, le controversé, mais le néanmoins sympathique Hatim, un grand peintre qui a marqué le monde des arts plastiques en Tunisie, non seulement par son talent artistique, mais également par son background culturel, son sens de la répartie (les «fléchettes assassines» étaient son fort), son sens de l'observation et la fertilité de son imagination. Il semblerait que cela soit des traits de caractère familiaux particulièrement en ce qui concerne les deux derniers, puisque son frère, Kussaï (le père de la journaliste Souhir Belhassen) décédé en 2011, se révèle un homme de plume qui sait rapporter en vers ou en prose, en impressions ou en description, ce que lui renvoient les êtres, les paysages et les choses avec lesquels il est en rapport. A la différence de Hatim, nous découvrons à travers ses écrits une réserve et une pudeur qui «confèrent (NDLR : d'ailleurs) à la narration une unité de ton et une étonnante neutralité», comme l'écrit Rabaâ Abdelkéfi Ben Achour dans son introduction, à qui on doit la publication de Evocations de Kussaï Elmekki. En effet, c'est après sa mort que ses enfants lui ont confié ses archives comprenant mémoires, journal intime, portraits, notes de lecture, poèmes et lettres. Elle y découvrit un produit tellement intéressant (le regard que l'auteur pose sur ce qui l'entoure dans ses incessants voyages, imposés ou par nécessité de travail), attendrissant (les lettres à ses bien-aimées qu'il appelle «cousines») et bouleversant (séparation de l'enfant qu'il était de son pays natal et de ses parents, bien qu'elle n'ait pas laissé le goût amer de la nostalgie) qu'elle décida de travailler dessus, pour qu'il prennent la forme d'un livre-évocations. C'est ainsi qu'elle a donné de la cohérence à ces archives sélectionnées en établissant les introductions et les transitions. Un travail éditorial dont elle débattra ce soir, à partir de 18h00, à la librairie Art Libris. Elle nous parlera également de Kussaï Elmekki qui fut certainement un des rares Tunisiens à avoir écrit en français dans la première partie du siècle dernier (il a commencé à le faire au moins à partir de 1932). Intéressant pour les chercheurs dans le domaine de la littérature pendant la période coloniale et pour les lecteurs tout court.