La rencontre est heureuse : elle se joue sur plusieurs générations Souhayr Belhassen a construit la demeure, ravissant nid d'aigle accroché sur la colline de Sidi Bou Saïd. Puis, son destin la poussant vers d'autres horizons, elle la céda à Essia Hamdi qui en fit une des plus jolies galeries de la côte, accueillant dans cet espace, entre ciel et mer, les artistes du monde entier, tous séduits par la confrontation de leurs œuvres avec la somptuosité d'un paysage qui remplit d'humilité les plus grands. Si Souhyr n'a pas appris le journalisme à ses filles, elle leur a appris à s'engager autrement, et à militer dans l'art. Soundes danse, vous la connaissez tous. Sinda, cependant, on ne le savait pas, peint, avec talent. Et a choisi pour exposer dans cette galerie où elle avait vécu, enfant. Essia Hamdi, quant à elle, cède le pas, pour cette exposition, à sa fille, Khédija, commissaire d'exposition, qui a travaillé en étroite symbiose avec l'artiste. «Je n'étais pas là au moment de la révolution, je n'en ai donc pas vécu l'atmosphère. Mais pour moi, c'est faire acte militant que d'offrir cet espace, pour permettre aux artistes de s'exprimer. On sent l'âme et la présence de Souhayr dans ces lieux. Sa fille en a dégagé l'âme, et Khédija l'a aidée à la présenter. Je n'ai intervenu à aucun moment, ni dans le choix des œuvres, ni dans l'accrochage. Ma seule exigence était une exigence de qualité. Et rarement travail de synergie a été mené aussi loin entre un artiste et un commissaire d'exposition. Sinda cherchait à exprimer la tension vécue, ces dernières semaines—Ex-tension, car au moment de l'exposition, on croyait celle-ci dépassée—,Khédija avait pour rôle de créer une unité dans ce travail, d'accompagner l'artiste en dégageant des choses qu'elle-même aurait pu ne pas voir». Sinda Belhassen est née en 1970, dans une famille d'artistes. Son oncle n'est autre que le fameux Hatim Elmekki, et, depuis son plus jeune âge, elle a baigné dans le monde de l'art. «Le peintre était enfoui en moi, latent, je n'en avais qu'une vague conscience. Mais un jour, pourquoi ce jour, je ne peux me l'expliquer, la peinture s'est imposée à moi….Le besoin de peindre me possède, aujourd'hui, tout entière; il rythme mon présent et donne un sens à mon avenir». Elle apprend donc, rencontre des artistes, fréquente des ateliers, se découvre des influences, se définit une démarche personnelle, et un jour, elle se jette à l'eau. Cette exposition d'un peintre débutant est d'une force étonnante. «Ce n'est pas la beauté ou la laideur d'une physionomie qui m'intéresse, mais ce qu'elle cache. Les visages que je peins, miroir de ce que l'on tait ou que l'on ignore». Sinda Belhassen surprend par la profondeur intérieure de sa quête, l'angoisse existentielle qu'elle laisse affleurer. Elle dépasse les normes convenues de l'esthétique, et révèle la vérité de ses personnages, leurs peines et leurs souffrances, mais aussi leurs joies et leurs jouissances, leurs vices et leurs vertus, la peur et le courage, l'oppression et la liberté. Visages tourmentés, corps torturés, entrelacs de nerfs et de muscles, crânes qui ne sont pas de simples vanités, et par-delà, toujours, le regard omniprésent, lucide, aigu, gênant, qui interpelle et dérange. Les œuvres de Sinda Belhassen, de très grands formats, n'adoptant que les gris, blancs et noirs, des non-couleurs, troublent, obsèdent, dénoncent, mais quoi ? Une fragilité, une vanité, l'éphémère, et malgré tout, la vie, forte et puissante, toujours renouvelée.