Par Jawhar CHATTY En visite en Tunisie le 22 février, Mme Christine Lagarde, ministre de l'Economie et Laurent Vauquier, ministre des Affaires européennes, ont jugé nécessaire d'établir «un Plan Marshall pour la Tunisie, européen mais aussi mondial». Les mots ont un sens et un poids. Ces déclarations constituent un engagement clair et net. Elles signifient que la France et l'UE sont bien conscientes des besoins financiers colossaux dont la Tunisie post-révolution a besoin en ce moment et à court terme, pour faire redémarrer sa machine économique et assurer son redressement économique et social, condition sine qua non de sa stabilité sociale et politique. Quelques remarques au passage : 1 — La Tunisie ne sort pas d'une guerre au sens propre du mot. Elle sort d'une révolution pacifique menée directement par le peuple qui a regagné aujourd'hui sa dignité usurpée. Mais il est aujourd'hui traumatisé, paralysé et se cherche encore, pour fixer ses repères, se restructurer, pour un nouveau grand départ. 2 — Cette étape se caractérise objectivement par la turbulence et l'instabilité générées par l'explosion des aspirations et des demandes, occultées et refoulées durant des années, aujourd'hui exploitées à des fins politiques, mais politiciennes également. Cette étape nécessite force morale et intellectuelle, un sens aigu de l'intérêt public et des responsabilités. 3 — Notre économie en sera la première à pâtir. Déjà, plusieurs secteurs de l'économie sont directement touchés, durement frappés, avec des conséquences dangereuses sur l'emploi, la production, l'exportation, la balance commerciale. Les événements dramatiques en Libye ont également leurs répercussions néfastes sur notre pays. En somme, tous les ingrédients pour ne pas rester insensible au Plan Marshall proposé par l'Union européenne. Pour mémoire, rappelons que le Plan Marshall, du nom du général et secrétaire d'Etat américain à la Défense (1950-1951), a été proposé en 1947 et adopté en 1948 par les pays de l'Ouest de l'Europe, baptisé «Programme de reconstruction européenne», et fut accepté par 16 pays européens. L'aide américaine était prévue pour quatre ans (85% sous forme d'aide gratuite et 15% de prêts à long terme). La France reçut au titre de ce plan 2,8 milliards de dollars. Face à l'urgence et aux dégâts accusés par l'économie tunisienne (-2% de croissance) et au regard du volume des attentes et des aspirations, des questions se posent : un Plan Marshall pour la Tunisie, c'est quoi au juste? Quels seront la nature de l'aide et son volume? Quels sont les pays qui vont participer à ce plan? Y aurait-il au préalable consultations avec la société civile, les partis politiques, voire les opérateurs économiques tunisiens? Quels seront les liens du Plan Marshall pour la Tunisie avec les financements accordés par l'Union européenne à la Tunisie? Ce plan sera-t-il un prolongement des programmes de financement en cours ou sera-t-il inclus dans le cadre du statut avancé avec l'Union européenne? Et puis, fondamentalement, ce plan sera-t-il assorti de conditions politiques, et lesquelles? Autant de questions qui méritent réponse et qui devraient normalement interpeller sérieusement la société civile et l'ensemble des acteurs politiques tunisiens. Lors d'une conférence de presse, Mme Lagarde a évoqué l'initiative prise par la France à la clôture du G20 Finances à Paris pour «engager la communauté internationale dans un message de soutien et d'amitié et aussi de mobilisation économique et financière pour accompagner le peuple tunisien dans son mouvement démocratique». Encore une fois, les mots ont un sens et du poids qui nous obligent à prendre au mot ce genre de déclaration. A moins que ce ne soit que des propos de circonstance…