Par Abdelhamid Largueche La Tunisie vit en ce moment une crise politique sur fond de tensions économiques et sociales. Cette crise risque de peser sur les acquis de la révolution du 14 janvier et de compromettre la marche du pays vers une transition politique véritablement démocratique. L'affrontement entre le gouvernement provisoire et les partisans du Conseil de protection de la révolution domine l'espace public et tourne au dialogue de sourds. D'un côté, l'action du gouvernement provisoire, sans base politique suffisante pour compenser son déficit de légitimité, se caractérise, indépendamment de sa bonne volonté, par une tendance à l'improvisation et à l'hésitation de manière à entretenir la crise de confiance et l'absence de visibilité et de perspectives politiques rassurantes. Les mesures politiques importantes, notamment l'amnistie générale, cet acquis énorme des luttes démocratiques de plusieurs générations, passe presque pour un fait divers, banalisé par une guerre de l'information acharnée sur le sensationnel et les polémiques de «légitimité» au point où l'on est en droit de nous demander sur le rôle qui doit revenir à la presse en contexte de liberté. De l'autre, les partenaires du Conseil de protection de la révolution accroissent les pressions sur le gouvernement et occupent l'espace public et médiatique en se présentant comme l'unique alternative «possible» au gouvernement actuel et aux institutions en place. La démocratie a besoin de démocrates. Et les tâches de la transition démocratique se situent à un double niveau. Le corps de la magistrature devrait se positionner à mon avis à égale distance de tous les partenaires politiques, justement parce qu'il représente une instance garante d'une justice indépendante qui nous a tant manqué sous l'ancien régime. C'est en préservant son indépendance qu'il contribue de la manière la plus juste à la transition démocratique.L'Ugtt, de son côté, est appelée à reprendre l'initiative pour encadrer le mouvement social, se préparer pour les prochaines négociations sociales en rationalisant les revendications de ses bases. Sur les questions démocratiques, son rôle naturel se doit d'exprimer un soutien actif au processus démocratique sans parti pris politique en faveur de tel ou tel courant. L'ère démocratique est aussi celle de la fin du syndicat unique. Plusieurs parmi les avocats, ces «héros providentiels» de la révolution tunisienne, ont poussé leur propre corps à se poser comme le légitime dépositaire de la révolution et tentent de s'ériger en composante dirigeante de la révolution. La tournure prise par cet affrontement empêche l'instauration d'un débat national libre et démocratique sur l'avenir du pays et sur les réformes politiques à introduire et marginalise la majeure partie des constituants de la société civile sans parler de la majorité silencieuse qui ne s'exprime qu'à travers les urnes. Les acteurs de la transition démocratique dont notre pays a besoin sont partout : dans le gouvernement et dans l'Etat, dans le Conseil de protection de la révolution et dans la classe politique, dans la société civile et dans la jeunesse active, parmi les acteurs économiques et les corps constitués de la société. Le pays a besoin d'un consensus national autour des principes à faire respecter et un accord sur les règles du jeu à adopter. Ce consensus est nécessaire et possible. Il a besoin de cadres adéquats et d'une mobilisation de toutes les forces patriotiques pour tenir des assises nationales dans lesquelles participent toutes les composantes de la société civile et politique sans exclusive. La tenue de telles assises est plus que nécessaire pour combler le vide politique et élaborer un pacte citoyen consensuel, démocratique et rassembleur.