Elégant : c'est la première impression que l'on éprouve à l'entrée de la galerie El Marsa qui accueille cette semaine l'exposition de Héla Ammar. Elégant, aéré, nuageux,et… un peu inquiétant ma foi. Au cœur de cet univers de légèreté impalpable, derrière cette monochromie de grisés que l'on aurait pu croire sereine, sourd comme une menace : ces taches rouges sang obsessionnelles, dissimulées et traîtresses, répétitives et omniprésentes, exprimant on ne sait quelle faute cachée, quel lourd héritage… quel interdit. Héla Ammar n'a pas exposé depuis trois années. On l'avait laissée explorant la matière dans une confrontation passionnante et passionnée. On la retrouve abordant une toute autre démarche, s'attachant au fond plus qu'à la forme, plongeant au cœur d'un questionnement personnel, et s'efforçant d'en dégager l'interdit et l'inter-dit «J'ai passé trois ans à travailler dans mon coin,travailler sur moi, sur un vécu, sur un ressenti, sur quelque chose qui me donne à réfléchir.En fait, dans cet inter-dit qui sert de jeu de mot au titre de l'exposition, il ne s'agit pas de définir ce qui est défendu, car ce n'est pas mon rôle, mais d'un questionnement intérieur.Mon propos est de me définir en tant que femme, témoin d'une inflation de discours moralisateurs.Ce qui se passe est assez paradoxal : nous sommes des femmes libres, indépendantes, émancipées, et l'on se rend compte que nous sommes prisonnières d'un regard culpabilisateur, que nous sommes perçues comme Eve pécheresse. Le comble étant que le péché originel ne correspond en rien à la tradition de l'islam faite de pardon. C'est comme si nous avions importé le péché originel et que nous l'avions intégré dans notre imaginaire». D'où la tache rouge indélébile dans ses toiles.D'où, également, cette installation de pommes d'amour, clin d'œil régressif vers l'enfance et l'interdit .Et quand on demande à Héla Ammar si elle renie sa première veine, elle explique : «Je ne renie rien, mais je ne reviendrai pas sur cette voie. C'était une étape, un palier d'expression purement abstraite, uniquement ressentie. Aujourd'hui, je travaille sur des choses exprimées, réfléchies». Disons qu'elle passe du cœur à la tête, en gardant tout de même du cœur ?